Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, précédées d’une notice sur sa vie et ses ouvrages.djvu/170

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 pour toi, mon fils ; gai, libre et bon pour tout le
monde ; il ne manquera rien à ta mère.
Figaro
Tu parles d’or, maman, et je me tiens à ton avis. Qu’on est sot, en effet ! Il y
a des mille, mille ans que le monde roule, et dans cet océan de durée, où j’ai
par hasard attrapé quelques chétifs trente ans qui ne reviendront plus, j’irais
me tourmenter pour savoir à qui je les dois ! Tant pis pour qui s’en inquiète.
Passer ainsi la vie à chamailler, c’est peser sur le collier sans relâche, comme
les malheureux chevaux de la remonte des fleuves, qui ne reposent pas même quand
ils s’arrêtent, et qui tirent toujours, quoiqu’ils cessent de marcher. Nous
attendrons.
Le Comte
Sot événement qui me dérange !
Brid’oison, à Figaro.
Et la noblesse, et le château ? Vous impo-osez à la justice !
Figaro
Elle allait me faire faire une belle sottise, la justice ! Après que j’ai manqué,
pour ces maudits cent écus, d’assommer vingt fois monsieur, qui se trouve
aujourd’hui mon père ! Mais puisque le ciel sauvé ma vertu de ces dangers, mon
père, agréez mes excuses… et vous, ma mère, embrassez-moi… le plus
maternellement que vous pourrez (Marceline lui saute au cou.)
Scène XVII
Bartholo, Figaro, Marceline, Brid’oison, Suzanne, Antonio, Le Comte.
Suzanne, accourant, une bourse à la main.
Monseigneur, arrêtez ; qu’on ne les marie pas : je viens payer madame avec la dot
que ma maîtresse me donne.
Le Comte, à part.
Au diable la maîtresse ! Il semble que tout conspire… (Il sort.)
Scène XVIII
Bartholo, Antonio, Suzanne, Figaro, Marceline, Brid’oison.
Antonio, voyant Figaro embrasser sa mère, dit à Suzanne.
Ah ! oui, payer ! Tiens, tiens.
Suzanne, se retourne.
J’en vois assez : sortons, mon oncle.
Figaro, l’arrêtant.
Non, s’il vous plaît. Que vois-tu donc ?
Suzanne
Ma bêtise et ta lâcheté.
Figaro
Pas plus de l’une que de l’autre.
Suzanne, en colère.
Et que tu l’épouses à gré, puisque tu la caresses.
Figaro, gaiement.
Je la caresse, mais je ne l’épouse pas. (Suzanne veut sortir, Figaro la
retient.)
Suzanne lui donne un soufflet.
Vous êtes bien insolent d’oser me retenir !
Figaro, à la compagnie.
C’est-il çà de l’amour ! Avant de nous quitter, je t’en supplie, envisage bien
cette chère femme-là.
Suzanne
Je la regarde.
Figaro
Et tu la trouves ?…
Suzanne
Affreuse.
Figaro
Et vive la jalousie ! elle ne vous marchande pas.
Marceline, les bras ouverts.
Embrasse ta mère, ma jolie Suzannette. Le méchant qui te tourmente est mon fils.
Suzanne, court à elle.
Vous, sa mère ! (Elles restent dans les bras l’une de l’autre.)
Antonio
C’est donc de tout à l’heure ?
Figaro
… Que je le sais.
Marceline, exaltée.
Non, mon cœur entraîné vers lui ne se trompait que de motif ; c’était le sang
qui me parlait.
Figaro
Et moi le bon sens, ma mère, qui me servait d’instinct quand je vous refusais ;
car j’étais loin de vous haïr, témoin l’argent…
Marceline, lui remet un papier.
Il est à toi : reprends ton billet, c’est ta dot.
Suzanne lui jette la bourse.
Prends encore celle-ci.
Figaro
Grand merci.
Marceline, exaltée.
Fille assez malheureuse, j’allais devenir la plus misérable des femmes, et je
suis la plus fortunée des mères ! Embrassez-moi, mes deux enfants ; j’unis dans
vous toutes mes tendresses. Heureuse autant que je puis l’être, ah ! mes enfants,
combien je vais aimer !
Figaro, attendri, avec vivacité.
Arrête donc, chère mère ! arrête donc ! voudrais-tu voir se fondre en eau mes yeux
noyés des premières larmes que je connaisse ? Elles sont de joie, au moins. Mais
quelle stupidité ! j’ai manqué d’en ê