Page:Beaumarchais - Œuvres complètes, précédées d’une notice sur sa vie et ses ouvrages.djvu/173

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 III
Suzanne, La Comtesse.
La Comtesse
As-tu ce qu’il nous faut pour troquer de vêtement ?
Suzanne
Il ne faut rien, madame ; le rendez-vous ne tiendra pas.
La Comtesse
Ah ! vous changez d’avis ?
Suzanne
C’est Figaro.
La Comtesse
Vous me trompez.
Suzanne
Bonté divine !
La Comtesse
Figaro n’est pas homme à laisser échapper une dot.
Suzanne
Madame ! eh, que croyez-vous donc ?
La Comtesse
Qu’enfin, d’accord avec le Comte, il vous fâche à présent de m’avoir confié ses
projets. Je vous sais par cœur. Laissez-moi. (Elle veut sortir.)
Suzanne se jette à genoux.
Au nom du ciel, espoir de tous ! Vous ne savez pas, madame, le mal que vous
faites à Suzanne ! Après vos bontés continuelles et la dot que vous me donnez !…
La Comtesse la relève.
Hé mais… je ne sais ce que je dis ! En me cédant ta place au jardin, tu n’y vas
pas, mon cœur ; tu tiens parole à ton mari, tu m’aides à ramener le mien.
Suzanne
Comme vous m’avez affligée !
La Comtesse
C’est que je ne suis qu’une étourdie. (Elle la baise au front.) Où est ton
rendez-vous ?
Suzanne, lui baise la main.
Le mot de jardin m’a seul frappée.
La Comtesse, montrant la table.
Prends cette plume, et fixons un endroit.
Suzanne
Lui écrire !
La Comtesse
Il le faut.
Suzanne
Madame ! au moins, c’est vous…
La Comtesse
Je mets tout sur mon compte. (Suzanne s’assied, la Comtesse dicte.)
Chanson nouvelle, sur l’air… "Qu’il fera beau ce soir sous les grands
marronniers… Qu’il fera beau ce soir… "
Suzanne écrit.
 « Sous les grands marronniers… » Après ?
La Comtesse
Crains-tu qu’il ne t’entende pas ?
Suzanne relit.
C’est juste. (Elle plie le billet.) Avec quoi cacheter ?
La Comtesse
Une épingle, dépêche ; elle servira de réponse. Ecris sur le revers : Renvoyez-moi
le cachet.
Suzanne écrit en riant.
Ah ! le cachet !… Celui-ci, madame, est plus gai que celui du brevet.
La Comtesse, avec un souvenir douloureux.
Ah !
Suzanne cherche sur elle.
je n’ai pas d’épingle, à présent !
La Comtesse détache sa lévite.
Prends celle-ci. (Le ruban du page tombe de son sein à terre.) Ah ! mon ruban !
Suzanne le ramasse.
C’est celui du petit voleur ! Vous avez eu la cruauté ?…
La Comtesse
Fallait-il le laisser à son bras ? C’eût été joli ! Donnez donc !
Suzanne
Madame ne le portera plus, taché du sang de ce jeune homme.
La Comtesse le reprend.
Excellent pour Fanchette. Le premier bouquet qu’elle m’apportera…
Scène IV
Une jeune bergère, Chérubin en fille, Fanchette et beaucoup de jeunes filles
habillées comme elle, et tenant des bouquets, La Comtesse, Suzanne.
Fanchette
Madame, ce sont les filles du bourg qui viennent vous présenter des fleurs.
La Comtesse, serrant vite son ruban.
Elles sont charmantes. Je me reproche, mes belles petites, de ne pas vous
connaître toutes. (Montrant Chérubin.) Quelle est cette aimable enfant qui a
l’air si modeste ?
Une Bergère
C’est une cousine à moi, madame, qui n’est ici que pour la noce.
La Comtesse
Elle est jolie. Ne pouvant porter vingt bouquets, faisons honneur à l’étrangère.
(Elle prend le bouquet