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Page:Beaumarchais - Mémoires, tome1.djvu/15

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que sa partie etait une femme ; mais elle avait pour conseil un Normand, le plus grand chicaneur du monde." Les noms de Goëzman et de Marin ont volé de toutes parts avec un murmure sourd et railleur. Quelque indiscrètes que soient ces allusions, il serait difficile de les prévenir. Après tout, loin de nuire, ne servent-elles pas à éclairer le gouvernement sur l’opinion du peuple ? L’autorité qui les tolère sait bien que ses seuls juges sont la nation et la postérité ; sûre de leurs suffrages, que lui importent les saillies et les clameurs impuissantes d’une populace oisive et légère ?

Sans pouvoir excuser absolument la conduite de M. Beaumarchais, même à n’en juger que d’après ses propres mémoires, on ne peut s’empêcher de la plaindre. Puisque M. Goëzman, qui l’accusait de corruption a été mis hors de cour, il n’est donc pas clairement prouvé qu’il soit coupable. L’intention seule du crime doit-elle être punie comme le crime même ? Et cette intention paraît-elle seulement bien constatée ? Les propres dépositions de sa partie adverse ne semblent-elles pas la détruire ? Or, le premier principe de toute jurisprudence criminelle est que, pour punir un crime quelconque, il faut qu’il soit prouvé plus clair que le jour, clarior luce.


M. de Beaumarchais redemande quinze louis à madame Goëzman, et l’arrêt pense que ces quinze louis étaient injustement retenus par elle. Il se défend de la plainte intentée contre lui par M. Goëzman, et l’arrêt met M. Goëzman hors de cour. Il hasarde plusieurs imputations injurieuses contre Marin : Marin demande que Beaumarchais soit puni comme calomniateur, et Marin est mis hors de cour. Cependant M. de Beaumarchais est condamné au blâme, punition infamante, qui le dépouille pour ainsi dire de toute son existence civile. Il faudrait nécessairement avoir les pièces du procès sous les yeux pour concilier tant de disparates. On eût désiré du moins que le délit par lequel M. de Beaumarchais a pu encourir une peine aussi rigoureuse eût été articulé plus positivement. Ce qui paraît le plus clair dans toute cette affaire, c’est que, sous aucun prétexte, il ne faut jamais offrir de l’argent à la femme de son juge ; c’est que, quelque esprit que l’on ait, il ne faut jamais l’employer à être le délateur de qui que ce soit, lorsque l’intérêt de notre propre sûreté ou l’obligation de notre état ne nous y force point. Le métier de déla-