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Page:Beaumarchais - Mémoires, tome1.djvu/16

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teur n'est bon que dans une république vertueuse ; dans tout État corrompu, et surtout dans une monarchie, il devient infiniment dangereux et ne saurait être toléré.

Le public se passionne aisément pour quiconque l'amuse, surtout lorsque l'esprit de parti s'en mêle le moins du monde ; mais l'intérêt qu'inspire un pareil succès n'est pas durable, et l'on en jouit rarement sans le payer fort cher.

Quoi qu'il en soit de l'opinion des contemporains de Beaumarchais sur la hardiesse d'un plaideur qui osait rompre en visière avec l'humble attitude prise d'ordinaire par ceux qui défendent ce qu'ils croient leur droit, le sentiment public était favorable au vigoureux champion d'une cause assez véreuse par elle-même, mais qui, soutenue par cette verve incisive répandue à un si haut degré dans le Barbier de Séville et le Mariage de Figaro, attira à Beaumarchais tant de marques de considération, comme le constate un éditeur des Mémoires (1830) qui, comme nous le faisons, n'a pas voulu priver les lecteurs de la moindre partie de cette curieuse série.

Non-seulement, ajoute-t-il, les personnes les plus qualifiées se firent écrire à sa porte, comme s'il lui fût arrivé l'évènement le plus honorable, mais le prince de Conti, le plus fier des princes de la famille royale, passa chez lui, et y laissa un billet ; il lui fit même l'honneur de le venir chercher dans la maison où il s'était retiré ; il l'invita à souper avec toute sa cour, en disant qu'ils étaient d'assez bonne maison pour donner l'exemple de la manière dont on devait traiter un homme qui avait si bien mérité de la France. On le suivait partout pour l'applaudir. Ses mémoires étaient si recherchés et si estimés, que ses juges craignaient, autant que ses parties adverses, qu'il n'en publiât de nouveaux. Ils n'osèrent exécuter sur lui leur propre jugement, M. de Sartines, chargé, comme lieutenant de la police, de la surveillance générale, et qui avait appris par cette surveillance même à bien connaître Beaumarchais et à l'estimer, lui dit en riant qu'il ne suffisait pas d'être blâmé