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le château vert

— Partir !… Pourquoi donc ? fit Barrière, ébahi. Hier soir, pourquoi me l’a-t-il caché ?

— Il n’avait pas l’air content.

— Brave garçon ! Il désespère trop tôt, lui aussi. Après tout, ça va très bien pour mon affaire.

Barrière, qui avait murmuré ces derniers mots tout bas, releva le front, et presque étonné de retrouver auprès de lui ce Micquemic encore souriant de satisfaction, il le congédia d’un geste. Micquemic s’éloigna, baladi-baladan, le dos courbé.

Barrière demeura songeur devant ses roseaux. À vingt reprises, il eut la tentation d’aller à la maison annoncer le départ si imprévu de Philippe. Mais à quoi bon ? Mariette apprendrait assez tôt la déconcertante nouvelle, que sans doute elle interprèterait comme un renoncement de Philippe, une sorte de lassitude et de résignation.

Attaché avec ferveur à la culture de son domaine, qu’il voulait orgueilleux de richesses et de lumières, Barrière n’avait pas la moindre préoccupation des vulgaires besognes du ménage. Au milieu de ses plantes, il oubliait tout, le monde, la ville, sa maison. Un quart d’heure après la disparition de Micquemic, il ne songeait même plus aux sottises qui le menaçaient depuis trop longtemps. Le souvenir ne s’en représentait à lui que dans sa maison, lorsqu’il revoyait sa femme et Mariette.

Celles-ci étaient allées au marché. Barrière ne le savait plus. Mme Barrière s’appliquait toujours de son mieux à distraire sa fille. Hélas ! On connaissait déjà par la ville le départ précipité de Philippe, et cette étrange nouvelle avait surpris les deux femmes dans un magasin. Elles rentrèrent bien vite à leur maison, fort émues. À midi, un coup de cloche rappela Barrière au fond du jardin. Il arriva tout guilleret, content de ce soleil d’hiver qui réjouissait la terre. Mais quelle ne fut pas sa stupéfaction de trouver dans la salle à manger sa femme et sa fille, assises, consternées ! Sa femme, par timidité, détourna la tête ; Mariette fixa sur lui ses beaux yeux noirs, étincelants d’un chagrin où se mêlait de la colère. Il s’arrêta soudain, les talons joints, comme un soldat à l’exercice.

— Qu’y a-t-il, mon Dieu !

— Il y a, papa, que Philippe est parti.

— C’est ça qui t’inquiète !… D’abord, mon enfant, est-ce que tu ne renonces plus à ton mariage ?