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le château vert

— Espérons-le, mon Dieu !

Eugénie s’arracha aux effusions intempestives de son amie, et, réprimant sa douleur, elle pénétra sur la pointe des pieds dans la chambre de Philippe. Thérèse essaya de se glisser dans son sillage. Mais sa mère sévèrement l’écarta :

— N’entre pas ! pas encore !…

— Papa, où est-il ?

— En bas.

Thérèse se réfugia dans le petit salon qui séparait sa chambre de celle de Ses parents. Elle en laissa, par curiosité, la porte ouverte sur le couloir. Les moindres bruits la faisaient tressaillir. Bientôt le Dr Martin apparut, grave, soucieux, médecin Tant-pis, qui éternellement coiffé d’un beau gibus, des blancs favoris bien peignés sur une figure lunaire, semblait se rendre à un enterrement. Thérèse s’était empressée au-devant de lui. Dédaignant de saluer cette petite évaporée, qui ne pensait qu’à s’amuser, il disparut superbement dans la chambre du malade.

Une demi-heure après, M. Ravin, qui avait annoncé son arrivée pour le soir, se présenta inopinément, rouge d’anxiété, le front trempé de sueur. Thérèse, dont le cœur tremblait de crainte et d’amour à la fois, offrit de le guider.

— C’est ici, François.

— Je sais. Pas besoin de toi !… fit-il, en lui tournant le dos.

Sous l’injure nouvelle, Thérèse eut une défaillance. Elle s’affaissa sur son fauteuil et pleura, malheureuse d’être si lâchement maltraitée. Tout le monde lui reprochait donc cet accident aussi pénible que ridicule ! Et pourtant, en quoi avait-elle fauté ? Eh bien ! puisqu’on la blessait d’un injuste mépris, elle avait le droit d’infliger, à son tour, une sorte de châtiment à tout ce monde méchant, à sa mère même qui, pour la première fois, ne l’avait pas soutenue de son indulgence. Et puisqu’on ne l’acceptait pas au chevet de Philippe, elle eut l’idée, puérile et misérable, d’aller loin, dans la solitude, se consoler toute seule.

Elle s’élança dans le couloir, descendit l’escalier et s’en fut au hasard, par le bosquet de pins. Dans le sentier des dernières vignes, qui viennent le long des haies d’amarines