Page:Beaume - Le château vert, 1935.pdf/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
le château vert

qu’à mesure il alimentait de bouses de vaches bien sèches. Le poisson frétilla dans l’huile de la poêle. Julia mit sur la table, en guise de nappe, un torchon qui ne la couvrait pas tout entière et que l’usure avait déchiré par-ci, par-là. Et de bonne humeur, chacun prit un siège, Thérèse l’unique chaise, Julia un escabeau, Micquemic un tonnelet qu’il établit debout.

Certes, Thérèse avait un tressaillement de regret quand elle songeait à sa mère ou à Philippe, mais elle chassait vite leur ombre importune. Ses lumineux yeux noirs, qui étaient la parure de son visage, s’émerveillaient de voir ses hôtes très doux, dans ce cadre de misère que la femme entretenait si propre, avec son zèle d’ancienne lavandière. Tandis qu’après le poisson et la salade de doucettes, que Micquemic avait ramassée dans le fossé d’une vigne, Thérèse croquait une pomme, Julia lui dit :

— À présent, racontez-nous votre affaire.

Thérèse, d’une voix où peu à peu se ranima sa colère, raconta tout : la promenade, la plongée de Philippe, incident affreux et ridicule dont ses parents même, et sans raison, la rendaient responsable. Finalement, l’injustice de tous au Château l’avait indignée, et, pour les punir de leur méchanceté, elle était partie. Par hasard, sans intention maligne, elle nomma, au cours de son ramage, les Barrière, voisin des Ravin, dans l’agreste quartier d’Agde.

Ses hôtes, pour l’écouter, ne mangeaient plus, les coudes sur la table.

— Oui, conclut-elle, il paraît que la fille de ces Barrière, qui sont très riches, est discrète, distinguée, tandis que moi… Qu’est-ce que ça peut me faire qu’ils soient riches les Barrière !

À ces mots, Micquemic ricana :

— Ils n’ont pas toujours été riches, ceux-là, ni même, bons pour leur prochain. J’en sais quelque chose.

— Vous les connaissez donc ?

— Je crois, et beaucoup. Ce Barrière n’a-t-il pas commencé par être maçon, à treize ans, en sortant de l’école, comme moi ! Au travail nous étions presque toujours ensemble. Seulement ce métier ne lui a jamais plu. Il faut dire que Barrière n’est pas bête, et même qu’il a de l’idée, qu’il sait parler aux choses et les fignoler à sa fantaisie. Les dimanches, les jours de loisir, il cultivait des fleurs dans la vigne de son père. C’est quand il eut