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le château vert

— Au moins dix heures. Et ici, dans cette tanière, où coucheriez-vous ? Nous n’avons pas de lit.

— Oh ! je m’arrangerai bien… Té ! là sur la chaise.

— Comme une poule, alors… Non, té ! je vous accompagne. Seulement je n’ai pas de manteau pour vous abriter du froid. Prenez au moins ce sac de toile sur vos épaules.

— Merci, madame. Là ! Je n’aurai pas froid.

— Une seconde ! Attendez-moi.

Julia alluma une lanterne sourde. Puis, rejoignant Thérèse qui était sortie de la masure, elle éclaira ses pas avec soin sur le sentier des roches qui descendent vers la mer. À la dernière marche, quand la lave s’étale presque de plain-pied avec le sable, Thérèse s’arrêta.

— N’allez pas plus loin, madame. Vous avez été très bonne. Té ! voilà le sac de toile.

— Non ! Non ! Vous me le rendrez l’un de ces jours.

— Bien ! À votre convenance. Mais rentrez chez vous.

— Oui, je remonte, à cause de cet homme qui, s’il se réveille par miracle, peut faire quelque bêtise. Allons, je vous souhaite un bon retour au château.

— Oh ! il n’y a personne sur la plage et je la connais si bien !

Julia grimpa d’un pas impatient les gradins de la colline. Thérèse s’approcha tout à fait de la mer qui était douce, et sur le fin tapis de sable, où finissait en un rythme régulier l’écume, elle marcha. C’était vrai que de l’immense flot, ainsi que des cavernes de l’horizon, émanait, comme du ciel, quand le nuage ne cache pas ses étoiles, une lueur étrange qui dansait un peu sur la plage. Plus d’un kilomètre à parcourir jusqu’au quai de l’Hérault. Thérèse marchait depuis cinq minutes, lorqu’elle aperçut soudain, cheminant à sa rencontre, une ombre humaine. Cette ombre s’arrêta. Thérèse, prise de peur, ralentit son allure, avec l’intention de s’évader vers la plaine des vignes. Tandis qu’elle hésitait, l’ombre se remit en marche, et d’un pas rapide cette fois. C’était un douanier achevant sa ronde. D’une voix bourrue, il cria :

— Avancez donc !

— Oui, monsieur. Oh ! je vous reconnais !

Elle courut, heureuse de trouver à l’improviste, dans la solitude que la mer et la nuit rendaient farouche, le vieux fonctionnaire si estimé sur le littoral, depuis le grau d’Agde