Page:Beaume - Le château vert, 1935.pdf/36

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
le château vert

Thérèse, déconcertée par tant de franchise, s’arrêta, non sans quelque nonchalance, une affectation de se montrer, elle aussi, franche et simple.

— Oui, répondit-elle, on est bien au Château Vert. Oh ! si nous voulions, le séjour y serait plus agréable qu’à Nice.

— En tout cas, il y a ici tous les éléments du bonheur. D’abord il y a, comme à Nice, la mer. Ah !… je ne trouve rien de plus beau que la mer, rien de plus attrayant.

— C’est vrai ?

— Oui, elle vous invite au voyage, au désir de connaître, dans le renouveau des cieux, des terres toujours nouvelles. Oui, quand je suis sur le bord de la mer je n’aspire qu’à m’en aller loin, dans des pays si différents du nôtre, dont on nous vante le pittoresque et d’où l’on rapporte la faculté plus grande de mieux comprendre et de mieux goûter toutes les choses du monde.

— Vous quitteriez Agde avec plaisir ?

— Je regretterais ma maison, mes parents, mes amis. Mais je serais si émue, ce me semble, de m’aventurer sous la protection de Dieu à la découverte de ses œuvres magnifiques, ardentes ou glacées.

Thérèse écoutait avec étonnement ce langage enthousiaste, qui était d’un poète uniquement épris des joies de l’idéal. Elle qui, dans sa jalousie d’enfant passionnée avait pressenti le danger des relations trop cordiales entre Philippe et Mariette, se délivra de ses craintes tout à coup, et, satisfaite des circonstances qui amenaient à l’improviste la rencontre de Mariette, elle eut l’orgueil charitable de ne plus penser et de ne vouloir que le bien ; elle regretta d’avoir, sur la foi de Micquemic, traité M. Barrière de voleur.

— Moi, non, dit-elle, je ne rêve pas si loin. Il me suffit de rester ici pour être heureuse.

Mme Barrière, qui était maigre et fine, usée par une longue vie de travail, toute vêtue de noir, et propre, luisante, observait avec admiration la demoiselle du Château, qui lui paraissait si dégourdie. Elle ne parlait aisément que le patois d’Agde, le patois languedocien des ouvriers, des pêcheurs, des humbles. C’est pourquoi, les mains sur les genoux, elle évitait de prendre part à la conversation des jeunes filles, tellement savantes, surtout sa Mariette, qui lui révélait aujourd’hui des ambitions