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le château vert

— Tout est à merveille. Et chez toi ?

— Prends ce fauteuil… Oh ! chez moi rien ne cloche. Tu verras Philippe qui est le plus malade… Mais tu as quelque chose à me dire ?

Benoît s’avança sur le bord de son fauteuil, en fronçant les sourcils. Comme s’il allait se battre, il frappa dans ses mains.

— Mon cher, inutile entre nous de tergiverser. J’ai besoin de 20 000 francs.

— Encore !… Pourquoi ?

— Des agrandissements, des achats…

— Tu t’endettes beaucoup, tu fais fausse route.

— En apparence.

— Ne me disais-tu pas dernièrement que le Château Vert est toujours plein de monde ?

— Si !… Mais j’en veux davantage. Or, tout coûte si cher aujourd’hui.

Ravin, saisi de pitié, pour ce pauvre ami qui avait continuellement trouvé des emprunts si faciles qu’il n’en pouvait perdre le goût, Ravin, les mains jointes sur un genou, prononça :

— Ça te fera 70 000 à rembourser, rien qu’à moi… Grosse somme : prends garde !

— Il me faut ça, que veux-tu ! J’offre en garantie ma vigne de Bessan.

— Tu manges ton bien très vite. À ta place, j’aurais mis de l’argent de côté.

— Erreur. Nous avons tant de frais !

— Tous ces frais sont-ils indispensables ? Je te parle à cœur ouvert, dans ton intérêt. Ta femme est-elle bien consciente de vos possibilités ?

— Pour ça, oui… riposta vivement Benoit qui sentait avec douleur que Ravin touchait le point important de ses inquiétudes.

— Tu es bon, Benoît, tu acceptes les pires imprudences, pourvu qu’on te laisse en paix et que tu voies contents et satisfaits les êtres que tu aimes le mieux. Tu as tort. C’est la mission du chef de famille de diriger seul tes affaires dans le droit chemin… Voyons, là, expliquons-nous franchement : ta femme n’est-elle pas trop préoccupée de paraître ?…

— Ma foi, non.

— Ta fille ne contracte-t-elle pas la mauvaise habitude de considérer la vie comme une fête perpétuelle ?