Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/39

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core transitoire, et où rien cependant ne remuait plus ; une sorte de chaos régulier, époque sans caractère déterminé, placée entre la gloire qui venait de mourir, et la liberté qui allait naître… On ne s’élançait plus au pouvoir d’un seul bond, comme au temps de mon enfance ; on n’y marchait pas non plus progressivement, comme dans les siècles qui avaient précédé ; il existait dans le gouvernement de certaines règles qui, après avoir été opposées aux talents, cédaient sans effort sous l’intrigue.

J’abordai ce nouveau théâtre, plein de vastes pensées et d’immenses désirs : un coup d’œil me suffit pour découvrir combien peu j’y convenais.

Mes passions étaient profondes et pures : mais, depuis trente années, mille autres avaient feint d’en sentir de pareilles, ou abusé de celles qu’ils éprouvaient réellement ; on ne croyait plus à la sincérité des grandes ambitions, et tout le monde les redoutait. Après avoir si long-temps nourri des espérances sans bornes, et m’en être enivré dans la solitude, je fus presque obligé de les dérober aux regards des hommes.

J’avais conçu des projets de réforme politique… mais alors on avait horreur des innovations.

De même que les esprits inquiets étaient troublés par des souvenirs de gloire, la société, corps froid et prudent, était glacée par des souvenirs de sang ; elle aimait sa léthargie, voyant dans le réveil un péril, et dans tout mouvement une crise mortelle.

Comment d’ailleurs parvenir à exercer sur elle et sur sa marche quelque influence ?

J’essayai d’embrasser un état qui pût me mener au pouvoir… mais je découvris bientôt encore la vanité de ce projet. Pour suivre avec avantage ce qu’on appelle une carrière, il faut l’envisager comme l’intérêt unique de son existence, et non comme le moyen d’atteindre à un but plus élevé. L’exercice d’une profession impose mille devoirs minutieux auxquels ne saurait se soumettre celui qui poursuit une grande pensée. L’impatience de réussir suffirait pour empêcher le succès.

Je ne saurais vous dire quels étaient les tourments de mon esprit, lorsque, plein d’idées vastes, j’étais condamné à me renfermer dans le cercle étroit d’une spécialité ; après avoir