Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/40

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long-temps considéré les objets dans leur ensemble, il me fallait descendre dans mille détails, et traiter des cas particuliers, à la place des grandes questions que j’avais méditées toute ma vie. Je faisais des efforts inouis pour tirer une idée générale d’un fait ; mais alors j’oubliais le fait pour l’idée, l’application pour la théorie : je devenais impropre à mon état… Une autre fois, je parvenais à emprisonner mon esprit dans les limites d’une question spéciale… mais ici je sentais mon intelligence se rétrécir, en même temps que je perdais l’habitude de généraliser ma pensée ; et je m’arrêtais devant la crainte de devenir impropre à mon avenir.

Plein de dégoût et d’ennui, je me retirai des affaires ; j’étais d’ailleurs enclin à penser que, de notre temps, la droiture du cœur et la fixité des principes sont des obstacles au succès.

Le vide dans lequel je tombai ne saurait se décrire. À l’instant où j’avais cru atteindre le but, je l’avais vu s’éloigner de moi davantage… Cependant mes passions me restaient ; elles ne me laissaient point de repos. Je jetais autour de moi des regards inquiets… j’observais la scène, espérant toujours qu’elle changerait ; mais elle ne m’offrait qu’un spectacle monotone de petits personnages, de petites intrigues, et de petits résultats…

Un événement inattendu vint tout à coup ranimer mon énergie languissante, et sourire à mon imagination. C’était en l’année 1825 ; la Grèce esclave avait murmuré des paroles de liberté… je vis là le parti de la civilisation contre la barbarie.

Plein d’un saint enthousiasme, je courus vers la patrie d’Homère. Mouvements poétiques d’une jeune âme, que vous êtes nobles et impétueux ! Hélas ! pourquoi ne rencontrez-vous, dans vos élans sublimes, que déceptions et mensonges ? J’ai scellé de mon sang la cause de la liberté… j’ai vu le triomphe des Grecs, et je ne sais pas à présent quels sont les plus vils des vainqueurs ou des vaincus. Il n’y a plus de Grecs esclaves des Musulmans ; mais toujours voués à la servitude, ceux-là n’ont gagné que le triste privilège de se fournir de maîtres et de tyrans.

Que me restait-il à faire sur cette terre de souvenirs et de