Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/59

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che écumait de rage, et ses yeux roulaient des éclairs d’indignation. À mon aspect, il se posa dans une attitude défensive, se faisant une arme des fers dont il était chargé. — Monstre ! s’écria-t-il en me regardant, tu as soif de mon sang ! ! mais n’approche pas !!… — Et, en parlant ainsi, il me montrait des dents blanches comme l’ivoire, inscrustées dans l’ébène, faisant signe que, si j’avançais, il allait me dévorer.

Alors Marie, prenant ma place : — Mon ami, lui dit-elle, c’est moi. — Ce peu de mots eut la magie d’arrêter ses transports. — Oh ! répliqua-t-il d’une voix douce, je ne crains rien quand je vous vois ; tout le monde veut ma mort, excepté vous.

Marie s’efforça de lui persuader que nul en ce lieu ne pouvait attenter à ses jours. Dès qu’elle se fut éloignée, je voulus juger de l’ascendant de ses paroles ; je regardai une seconde fois le nègre, dont la fureur avait déjà repris son cours.

Sa folie présentait une image affreuse, et j’en conservai une pénible impression ; cependant ce sentiment était adouci par le souvenir de la compassion que lui donnait Marie. Depuis que j’étais en Amérique, je n’avais pas encore vu un blanc prendre en pitié le sort d’un nègre ; j’entendais dire sans cesse que les gens de couleur n’étaient pas dignes de commisération, et ne méritaient que le mépris ; la fille de Nelson, du moins, ne partageait point cet odieux préjugé.

Je revins seul à la ville, Marie n’ayant point voulu que je l’accompagnasse. — Peut-être un jour, me dit-elle, vous me saurez gré de mon refus. — Je ne compris pas le sens de ces paroles.

J’emportai de l’Alms-House des émotions diverses. On ne voit pas sans un cruel serrement de cœur, assemblées sur un même point, toutes les infirmités de notre pauvre nature ; mais il n’était pas un triste ressouvenir qui ne contînt le germe d’une douce pensée : chacune des souffrances dont je gardais la mémoire me rappelait l’ange des consolations.

Vous l’avouerai-je encore ? — Je conservais, de cette visite dans l’asile de toutes les détresses, une impression de bonheur personnel que je me suis souvent reprochée. Ma pitié pour le malheur était sincère ; cependant ce sentiment ne