Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/60

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remplissait pas seul mon âme. Il me restait assez d’égoïsme pour penser que, de toutes ces afflictions, aucune n’atteignait mon existence. Marie près de moi, la grâce de sa personne, encore embellie par l’éclat de sa charité ; les promesses de bonheur que je trouvais dans son amour ; tout un avenir de délices qui s’ouvrait devant moi ; ces images riantes venaient dans ma pensée contraster avec les vies misérables et abjectes de ces êtres disgraciés, honte de la nature, rebut de la société, voués dès leur naissance à tous les opprobres, à toutes les infirmités, à toutes les douleurs du corps et de l’âme ! Et je jouissais secrètement de cette comparaison, me croyant supérieur parce que j’étais plus heureux. Hélas ! quel eût été mon abaissement, si, foudroyant mes orgueilleuses passions, une voix du ciel fût descendue dans mon âme, et m’eût annoncé que je souffrirais un jour des angoisses inconnues à tous ces infortunés !

Cependant le souvenir de l’Alms-House et de la vierge charitable que j’y avais rencontrée ne sortait plus de ma mémoire.

Ce que n’avaient pu ni les affections de famille, ni les liens de la patrie, ni la séduction des grands spectacles de la nature, une femme éteignit mon ambition, corrigea tout à coup mon humeur inquiète et aventureuse, et je ne vis plus qu’un avenir possible, aimer toujours Marie ; je n’aspirai qu’à un seul bonheur, être aimé d’elle.

J’étais venu en Amérique pour chercher le remède à un besoin insatiable d’émotions violentes et d’élans sublimes ; et un sentiment plein de douceur rendit la paix à mon âme troublée, et régla les mouvements désordonnés de mon cœur.

Je venais pour contempler le développement d’un grand peuple, ses institutions, ses mœurs, sa merveilleuse prospérité ; et une femme me parut le seul objet digne de mon admiration et de mon enthousiasme.