Page:Beaunier - La Poésie nouvelle, 1902.djvu/204

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s’y unit agréablement aux vers libres, grâce à d’habiles transitions de cadence plus ou moins caractérisées.

Les Petites Légendes[1], assez variées, ont toutes cependant (sauf la première, plutôt goguenarde) le même caractère de brutale poésie. Elles ne sont point délicates ni gracieuses : la fantaisie en est fruste, le détail lourd. Mais elles évoquent, avec une singulière puissance, avec une telle intensité que l’ardent éclat de l’image supplée au charme qui lui manque, l’âme du pays flamand, l’esprit d’une race grossière et forte, sensuelle dans son rêve, dans l’obscure épouvante de ses hallucinations. L’art de Verhaeren, avec sa franche vigueur et son expressive rudesse, convenait à cette poésie ; les rythmes durs et martelés qu’il affectionne, l’insistante accumulation des rimes, des assonances, des allitérations, la sonorité rauque des mots, donnent à ses poèmes quelque chose de l’étrangeté des légendes qu’il interprète… La Statuette, très ancienne, et qui remonte au temps des dieux, et dont la ressemblance effacée par les siècles fut celle de Diane, de Vénus ou de Cybèle, peinte en rouge et peinte en bleu, trôna, en manteau d’or moiré, sous le baldaquin de la chapelle, comme la Vierge ! Telle, jadis, elle fit des guérisons. Mais, despotique, le vicaire flaira son démoniaque paganisme et la jeta dans la rivière. Le courant la porta vers la digue. Les joueurs de quilles de Flandre et de Brabant la repêchèrent ; ils en firent la quille médiane de leur jeu. Mais le premier qui l’abattit, un incendie prit à son clos ; et le second qui l’abattit, rentrant le soir à la maison, trouva sa fille morte sur le seuil ; quant au troisième,

  1. Petites légendes. Deman (Bruxelles), 1900.