Page:Beauregard - L'expiatrice, 1925.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
L’EXPIATRICE

Raymonde qui venait d’être fiancée. Elle adorait ce fiancé qui n’était qu’un lâche lui aussi, car il l’abandonna en la voyant pauvre et attaquée.

« Bref, ma pauvre enfant, sa victime ayant échappé à la mort, votre père ne fut condamné qu’à trois ans de travaux forcés. Il sortit de là aigri jusqu’au fond de l’âme et après m’avoir installée ruelle Luc il disparut et je n’eus de ses nouvelles qu’au bout de cinq ans. En vivant de la vie nomade des sauvages il avait rencontré sur sa route m’écrivait-il un ange de bonté et de miséricorde et il sollicitait mon consentement à l’épouser. Vous lirez vous-même sa lettre que je n’ai jamais revue sans pleurer. Il fut heureux et bon deux années jusqu’à ce que sa femme, votre mère, succombât à une fluxion de poitrine. J’appris qu’il allait me revenir.

« Le voyage fut long. Il n’avait pas d’argent et il devait s’engager le long du chemin. Enfin je le revis un soir. Il vous portait dans ses bras c’est-à-dire que vous dormiez sur son épaule. Je ne voulus pas le quitter un seul instant de toute la nuit car il avait un air sombre qui m’effrayait. Mais à l’aube s’étant retiré dans un petit cabinet de débarras qui attenait autrefois à la maison et que j’ai depuis détruit de mes mains il avala une dose de poison qu’il portait sur lui. La mort vint lentement et au milieu de souffrances épouvantables. Vaincu physiquement il parut se transformer en un autre il demanda de lui-même un prêtre, se convertit et depuis ce moment jusqu’à la fin il ne lui échappa plus une seule plainte rien qu’un mot qu’il disait tout le temps : pardon, pardon.

« Mon enfant c’est tout. Si cette histoire vous fait mal oubliez-là. C’est votre bien que j’ai désiré en vous la racontant. J’ai une autre lettre à écrire de recommandations à la bonne âme qui voudra bien se charger de vous quand je ne serai plus. Aussi vais-je terminer ici ma très chère. J’ai mis bien des jours à écrire ces pages et j’ai peur que mes yeux s’éteignent avant le reste de mon pauvre corps. N’oubliez jamais, ma Paule, ce que je vous ai enseigné. Détestez les taches même petites que vous trouverez sur votre âme et soyez toujours toujours et toujours maîtresse de vous. Ayez soin de briser votre caractère pour vous en faire un instrument et non pas un maître despotique et priez pour nous ! »

Lorsqu’Élisabeth se présenta à la chambre de sa protégée elle trouva celle-ci fort calme, à son ordinaire. La jeune fille lui fit lire la lettre posthume de sa grand’mère et ensemble elles feuilletèrent les papiers. Une petite photographie de la mère de Paule se trouvait dans la lettre qui annonçait le mariage du malheureux Norbert. Élisabeth l’étudia avec attention.

— Au jugé, elle paraît elle-même grande et blonde mais vous n’avez pas ses traits, Paule. Plutôt ceux de votre grand’mère.

— Elle assurait dit Paule d’une voix à peine altérée, que mes gestes et surtout mon sourire lui rappelaient mon grand-père Roché. Mon grand-père de Rocheblave, se reprit-elle.

Et, durant une seconde, ses lèvres frémirent, grimacèrent presque. Ce fut l’unique signe d’émotion qu’elle donna.

Comme Élisabeth allait s’éloigner, confondue de cette force d’âme de la jeune fille, Paule la retint, et timidement :

— Mes cousines Rastel demanda-t-elle, je les connais ?

— Sans doute.

— Et elles ? est-ce qu’elles se doutent ?

— Elles n’ignorent rien. Votre nom les a éclairées car il avait été convenu entre votre père et son cousin que désormais ils s’appelleraient respectivement Roché et Rastel. J’en sais assez long, étant moi-même dans leur parenté et la vôtre. À propos, Édouard et Jean-Louis Dufresne sont aussi vos cousins. Ils ont quatre sœurs mariées que vous connaîtrez peut-être, un jour, bien que deux d’entre elles demeurent aux États-Unis. J’attendais moi-même que vous soyez éclairée pour vous amener à maman, chez nous. Vous verrez comme c’est bon de posséder une famille. Songez donc : jusqu’à Louisette qui vous est unie par les liens du sang !…

Ce lundi-là, après des ordres données à la cuisine, Élisabeth regagnait sa chambre lorsqu’elle se vit rejointe par Mme Deslandes fort excitée.

Il y avait alors une semaine que Paule connaissait la honte des siens.

— Je vous assure, mademoiselle, dit la lingère, que notre petite a quelque chose. Depuis sept ou huit jours, elle n’est plus la même. Positivement. J’ai d’abord cru de la fatigue, bien que je la ménage Dieu sait comme, et je comptais sur le repos du dimanche pour la remettre. Mais ce matin, c’est pis.

— Que lui trouvez-vous ?

— On la dirait sans courage, bien qu’il soit visible qu’elle essaie de prendre sur elle. Aujourd’hui, elle est pâle comme la mort et à la voir agir, on dirait une automate. Cela fait pitié, à la fin et je me suis dit : J’avertis Melle Dufresne avant qu’il ne soit trop tard.

— Merci, prononça Élisabeth. Veuillez donc me l’envoyer, Mme Deslandes. Qu’elle mette son tablier et qu’elle apporte un plumeau : je vais lui faire nettoyer ma bibliothèque, avant le grand ménage de cette semaine. Ce travail la distraira, je l’espère et l’ayant près de moi, je pourrai l’étudier. Elle ne s’est plainte de rien, n’est-ce pas ?

— Vous savez bien, mademoiselle, que ce n’est pas son habitude de se plaindre.

Prévenue du désir de la directrice, Paule se présentait bientôt à elle. Elle était blanche comme le marbre, dans son tablier gris et, avec un serrement de cœur, Melle Dufresne remarqua la rigidité de ses traits. « Si elle pouvait pleurer » songea-t-elle.

Et tout haut :

— Petite, fit-elle d’un ton enjoué, voulez-vous dégarnir ces quatre rayons et replacer les volumes par ordre : philosophie en haut puis histoire, ouvrages d’imagination et enfin de piété. Moi, pendant que je suis