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L’EXPIATRICE

mais par une curieuse disposition de sa nature, il lui fallait comme soutien un faible dont le cœur fut docile et bien à elle et qu’elle eût mission de diriger, d’entraîner à sa suite et même d’encourager. Avec ce stimulant, elle se faisait fort de remporter sur tous les obstacles, mais s’il venait à manquer, c’était aussitôt sa désolante visite des papillons noirs.

Elle n’avait pas voulu contrarier, même d’une plainte, la vocation de sa sœur, mais combien ce départ de la bien-aimée cadette la déprima. On eût dit que le public, ce cruel anonyme, le sentait, car sans autre raison la vogue de la Pension diminua soudain. Les affaires se gâtèrent, et chaque mois, il y avait un déficit un peu plus considérable à enregistrer. Les mauvais jours recommençaient en des conditions autres. Sur les entrefaites, la vieille tante mourut et ce décès amenait Raymonde au point culminant de son infortune.

Deux mois après la disparition de la vieille tante, Noëlla rentrait au logis, incapable de supporter plus longtemps la vie austère qu’elle avait embrassée avec tant d’enthousiasme et dont elle devait d’ailleurs garder le regret mélancolique. Elle n’était que la demi-sœur de Raymonde et elle avait hérité de sa mère, morte de la poitrine, d’une santé fragile.

Cependant, la déveine paraissait et, la mort dans l’âme, ne sachant plus que devenir, Raymonde songeait à tout liquider, avant qu’il ne fût trop tard, lorsque sa bonne étoile la mit sur les traces d’Édouard. Bien qu’ils eussent eu assez peu souvent l’occasion de se fréquenter, ils se connaissaient, pour ainsi dire, depuis toujours et Raymonde avait bien saisi cette nature compliquée d’Édouard. Pour cette raison, elle ne se dissimulait pas le côté hasardeux de son entreprise, mais, depuis que Noëlla était revenue, la confiance de nouveau jaillissait de son âme.

Elle se rendit donc au boulevard St-Joseph, chercha le numéro qu’on lui avait donné, le trouva dans les parages d’Outremont et, le cœur bouillonnant d’ardeur, se fit introduire auprès de son cousin. Naturellement la chose n’alla point toute seule, Raymonde dut batailler, discuter, revenir à la charge. Pour réduire à néant des objections dangereuses par leur inconsistance même, elle déploya toutes les ressources de son esprit coloré et, finalement, elle l’emportait.

Elle-même restait tout étourdie de sa victoire mais le plus merveilleux fut qu’elle la continua car Édouard avait la réputation, d’un incorrigible bohème. Difficile à vivre entiché d’indépendance, ombrageux et irascible, le seul fait de voir ses habitudes connues et classées le froissait. Éminemment orgueilleux et sensible au même degré il était d’une susceptibilité unique qui lui rendait quasi impossible la vie de société.

Lui aussi s’était attaché à un cadet dont il n’eût point souffert d’être séparé : c’était Jean-Louis qui commençait alors ses études de droit. Les deux frères avaient en outre quatre sœurs, mais Édouard, qui par ailleurs méprisait en bloc toutes les femmes les fréquentait peu, l’une d’elles exceptée, chez qui il passait les mois d’été, au bord de la mer.

Après l’arrivée des deux frères la vogue avait repris durable cette fois, et, grâce à un travail d’élimination stricte, Raymonde gagnait bientôt à sa maison une réputation non seulement de correction extrême mais encore de haut ton, ce qu’elle avait justement rêvé, dès le début. Elle put croire que l’ère des soucis était close enfin. La Pension, en tant qu’immeuble ne leur appartenait point et ils s’étaient engagés à la rendre dans un certain nombre d’années, dès le moment que le propriétaire en exprimerait la volonté, mais Raymonde ne voyait point que cette clause du contrat fût de nature à contrarier leur marche en avant.

C’était un vieil ami de leur famille, Joseph Wilson, un Canadien au nom anglais, qui les avait installés là. Lorsque Raymonde s’était présentée à Joseph Wilson alors qu’elle « marchait » pour son affaire, ce vieillard venait d’accepter la tutelle de trois petits-fils qu’il prenait chez lui, pour plus de commodité, mais à qui il désirait conserver leur maison de famille. Cette maison, il l’avait offerte à Raymonde, aux trois quarts meublée et avec des facilités de paiement très grandes. Aussi, chez les Rastel regardait-on ce généreux comme le premier bienfaiteur de la famille.

Grâce à lui, Raymonde attendait désormais l’avenir avec le même sourire brave à peine moins provoquant qu’à l’époque de sa jeunesse comblée.

 

Les funérailles de la grand’mère de Paule eurent lieu le surlendemain de la visite d’Élisabeth. Cette dernière se fît un devoir d’y assister, en compagnie de l’une de ses sœurs, Louisette, et de la fidèle Deslandes. La veille elle avait pu se rendre ruelle Luc et, y ayant trouvé sœur Éloi, elle avait longuement conféré avec elle. La religieuse avait profité de cette rencontre pour remettre à Mlle Dufresne les papiers de la défunte, le seul héritage matériel que laissait la vieille dame. L’enveloppe la plus volumineuse devait être rendue à Paule lorsque la jeune fille aurait à peu près dix-sept ans ; sœur Éloi en avait été primitivement la dépositaire, mais elle prenait sur elle de tout remettre à Élisabeth. L’autre papier était une simple lettre de remerciement émaillée de pressantes et minutieuses recommandations à celle qui se chargerait de l’enfant.

La nouvelle protectrice de Paule la lut avec autant de respect que d’émotion et, résolue à la prendre pour fil conducteur dans ses rapports futurs avec la jeune fille, elle la déposa dans un endroit sûr, parmi ses souvenirs les plus précieux.

Il fit un froid terrible, le jour de l’enterrement. Accoutumée à la vie claustrée et d’ailleurs brisée d’émotion, Paule grelottait dans le traîneau qui l’emmenait vers le cimetière de la montagne. Elle portait cependant une jaquette assez épaisse et elle avait même une fourrure sur ses épaules, la