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L’EXPIATRICE

première fourrure qui fût en sa possession ; Louisette la lui avait apportée, le matin même. C’était une collerette en chat sauvage, peut-être un peu démodée mais qui n’entamait point, pour cela, la fière beauté de la jeune fille.

Cet étonnant voyage de la ville au cimetière puis du cimetière à la ville sous l’étreinte du froid, au son étrange des grelots et en compagnie d’inconnues qui s’emparaient pour ainsi dire d’elle devait synthétiser pour Paule, la tristesse de ces derniers jours. Le glas de son enfance protégée venait de sonner.

Rien, jamais, ne put altérer chez elle le souvenir glacé de ce jour.

Au Foyer, on lui prodigua tendresse et bons soins. Après l’avoir réchauffée et l’avoir forcée de prendre un repas substantiel, Élisabeth la confia à sa sœur, elle-même devant incessamment retourner à ses occupations. La gentille Louisette qui était une familière du Foyer, conduisit Paule à la chambre provisoirement mise à sa disposition, et, toute grave dans son rôle de consolatrice, étonnée aussi du stoïcisme de l’orpheline elle lui aida à s’installer, puis, tant bien que mal, elle causa avec elle jusque vers la fin de l’après-midi, alors qu’elle s’excusa de devoir la quitter. La famille était encore nombreuse, chez Louisette : cinq garçons et, pour lui aider, la vieille maman n’avait plus que cette dernière fille.

Restée seule. Paule s’agenouilla sur le prélart aux tons clairs et, bien qu’elle se sentît affreusement lasse, comme chaque soir, elle récita sa prière et son chapelet en entier. Puis, elle quitta sa robe noire, revêtit le blanc vêtement que Louisette avait déplié, à son intention et bientôt, caressée par les draps frais, elle s’endormit.

Dans son sommeil, elle se sentait emportée d’un mouvement glisseur sur une longue route enneigée ; des femmes l’entouraient qui lui jetaient des regards furtifs et troublants tandis que, sur ses genoux, sa grand’mère reposait, couchée et légère comme un être immatériel. Enfin, dans l’air pur, s’égrenait la claire mélopée des grelots et Paule avait hâte, grand’hâte d’être rendue ; il lui semblait même qu’elle n’arriverait pas à temps et cette crainte l’accablait d’un désespoir lourd.


IV


Depuis bientôt six mois qu’elle évolue dans ce monde en miniature qu’est un foyer pour jeunes filles, Paule s’est grandement transformée sans pourtant rien perdre des extraordinaires qualités soit naturelles soit acquises qu’elle a apportées ici. Son calme reposant, son abnégation et son endurance restent les mêmes, mais elle cause avec plus d’abandon maintenant et sa rigidité première a fait place à un sourire intérieur plein de charme. Car Paule est heureuse ; elle l’est même trop, ce qui l’empêche de se prendre au sérieux et de vivre autrement qu’en attendant. Petite Ève moderne, comme l’autre belle et en pleine possession de ses facultés, elle découvre le monde. Tout l’intéresse, tout lui agrée, rien ne peut rebuter ses ravissements d’ingénue.

Il plaît à Élisabeth de la voir se mêler aux pensionnaires qui n’en reviennent pas de sa beauté, moins encore de sa sagesse, mais surtout de la durée de celle-ci. Ces demoiselles ne comprendront jamais comment, avec l’instruction que décèle la correction de son langage, elle ne cherche pas à sortir de la médiocrité de sa condition présente. Et Élisabeth n’est pas peu fière de savoir que sa protégée répond aux tentatrices qu’elle « aime mieux travailler à la maison qu’au dehors ».

En adoptant, au nom de l’Œuvre, cette orpheline, la directrice pensait se charger d’une âme faible que son premier et tardif contact avec la vie allait enivrer dangereusement. Elle se sentait toute prête à lutter pour la protéger mais voilà que, pour elle aussi, Paule est un sujet d’étonnement. Elle a dû vite reconnaître que c’est une coopératrice qu’elle s’est donnée auprès des âmes de jeunes filles dont elle a assumé la charge. La pupille d’Élisabeth assainit tout, sur son passage et ses exemples son seul aspect même valent des milliers de paroles. Elle laisse après elle comme un sillage de pureté et de joie simple quand le siècle est justement au besoin immodéré de luxe et aux amères récriminations.

Ce bien qui, aujourd’hui, germe sous les pas de l’enfant, avec une abondance quasi miraculeuse, ce sont les patients efforts de la grand’mère qui l’ont semé ; Élisabeth l’admet avec gratitude. Paule n’est encore que le prolongement de son aïeule, mais la forte éducation qui a façonné son âme naturellement droite et ferme paraît bien l’avoir trempé pour la vie et Élisabeth ne craint plus le mal pour son enfant d’adoption. Ce qui, désormais la hante, c’est l’avenir avec son mystère, poésie des jeunes vies, mais sujet d’inquiétude pour les aînés. En quel sens se métamorphosera Paule, dans deux ans, trois ans ?…

À l’exception, peut-être, de la petite récureuse des couteaux qui la jalouse, le personnel est tout à la dévotion de cette belle enfant sans morgue qui vient de prendre place dans ses rangs et Mme Deslandes qui est plus spécialement chargée d’elle ne manque aucune occasion d’afficher son intimité avec la jeune fille. C’est en effet sous sa direction que Paule marque au fil rouge, ou reprise, ou coud à petits points, de neuf heures à quatre, tous les jours, le samedi et le dimanche exceptés. C’est un labeur qui n’a rien d’excessif. La fillette est arrivée bien pâle au Foyer, et sa croissance est si rapide qu’Élisabeth craint par-dessus tout de la fatiguer. Aussi exige-t-elle qu’elle se couche tôt, le soir, et la plupart du temps, elle la laisse aussi dormir tard le matin. C’est elle, qui de même, a déterminé les heures plutôt courtes de son travail.

Mme Deslandes a compris à demi-mot. Aussi, non seulement s’ingénie-t-elle à ne confier à Paule que le plus léger de la besogne mais aussi veille-t-elle à lui faire la vie gaie, intéressante. Elle, autrefois silencieu-