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L’EXPIATRICE

elle était restée absolument telle que jadis, toute rouge au fond de son petit parc gazonné. La propriétaire du moment, une veuve affable et digne, consentit à la faire visiter aux voyageurs et Paule, déjà bien secouée depuis Varennes, ne savait comment retenir ses larmes, à l’évocation de ce beau passé anéanti dont elle avait été frustrée. Mais elle plaignait davantage ses cousines qui en avaient vécu et qui avaient dû s’en arracher.

Au parcours des pièces, Raymonde passait et repassait son mouchoir sur ses yeux, mais rien n’aurait pu la retenir en arrière ni l’empêcher de nommer tout haut ce qui se trouvait ici, ce qui était placé là, comment les meubles avaient été disposés dans cette chambre et ce qui s’était passé de remarquable dans cette autre. Parfois, elle se taisait tout à coup, en s’immobilisant et le sang aux joues, les yeux mornes, avec ses paupières rougies elle avait l’air de regarder revivre, pour une heure, sa jeunesse si tragiquement close et ses beaux dix-huit ans amoureux.

Noëlla l’enveloppait d’un regard de compassion inquiète.

Juillet s’acheva sans qu’on reparlât de l’auto, mais bientôt, Noëlla dont les poumons étaient exigeants et qui étouffait en ville redemanda les courses à l’air. Raymonde n’avait pas objection, loin de là et les randonnées reprirent.

Pendant ce temps l’été aussi fuyait et, un jour qu’elle s’introduisait dans la belle limousine capitonnée qui devait les conduire à Iberville, Raymonde put s’écrier, d’un ton d’ailleurs rien moins que satisfait :

— Ce sera la dernière course de nos vacances !

Août tirait à sa fin et il présentait déjà cette face placide de l’automne clair.

— Allons, fit encore Raymonde, au moment où Élisabeth et Mme Deslandes montaient à leur tour dans la voiture, en route pour St-Athanase !…

On passa d’abord par St-Jean où l’on prit le dîner, puis, traversant l’un des trois ponts jetés à cet endroit par-dessus le Richelieu on arriva à Iberville enseveli sous sa verdure. La supérieure du couvent était la sœur de cette vieille tante qui, autrefois, avait servi de mère à Raymonde et à Noëlla et elle ne connaissait pas encore Paule.

Bienveillante et très digne, sous ses cheveux de neige, elle les garda longtemps, autour d’elle, à causer et elle ne leur permit point de se retirer avant qu’elles eussent visité du haut en bas le couvent propret et sonore, dans sa nudité, comme une cage vide.

— Vous n’avez jamais été au couvent ? demanda-t-elle à Paule, comme les visiteuses remontaient dans l’auto.

Et, sur la réponse négative de l’enfant :

— Pauvre petite ! plaignit-elle.

L’auto repartait, vive et silencieuse entre la double haie de paysage ; le chauffeur tournait et détournait la roue de son gouvernail, s’appliquant à faire de belles rencontres.

Cependant, depuis Chambly, Raymonde criait famine et l’air vif ne faisait qu’accroître sa faim.

— Quand donc, gémissait-elle, quand donc arriverons-nous ?

— Patience, ma grande ! lui jetait Noëlla.

Naturellement, Élisabeth se fit déposer au Foyer, refusant avec obstination le souper que ses cousines lui offraient. Pour Raymonde en entrant dans le boudoir qui précédait la salle à manger, elle se laissa choir, de tout son poids, sur un fauteuil en déclarant qu’elle allait bien sûr mourir d’inanition.

Alors, pendant que Noëlla s’en allait conférer avec la cuisinière d’un cas si grave, Paule refaisait, devant la glace, sa coiffure.

On frappa à la porte.

Paule s’en fut ouvrir, croyant d’ailleurs que c’était son oncle, mais en reconnaissant Édouard et Jean-Louis, tout frais arrivés, Raymonde se remettait sur pieds comme par enchantement.

Noëlla était accourue, M. Rastel se présentait à son tour et les deux cousins se voyaient faire fête comme s’ils fussent arrivants du Pôle.

— Vous soupez avec nous ? invitait avec élan Raymonde.

Et, sur leur acceptation aussi spontanée, Noëlla s’éclipsait de nouveau, à la recherche de la cuisinière.

Jean-Louis s’était terriblement hâlé et il s’en égayait avec un gros rire qui « sentait aussi le vent du large » assurait Raymonde. Quant à Édouard, Paule le jugea toujours pareil excepté que ce soir, il ne songeait pas à cacher ses yeux. En vérité, la jeune fille les voyait à loisir pour la première fois : ils étaient d’un bleu mêlé, très fins, et prompts à bouger comme ceux de Jean-Louis, mais d’une autre manière. Plusieurs fois, la jeune fille les vit arrêtés sur elle et il lui sembla que le cousin avait quelque grosse chose à lui dire.

Ce n’était ni terrible, ni difficile à articuler.

Au moment où on se levait pour passer dans la salle, le souper étant annoncé, il lui demanda, de sa voix toujours un peu étouffée et qui lui parut anxieuse :

— Reprendrons-nous bientôt nos leçons, Melle Paule ?…

Ils les reprirent la semaine d’après, un soir de lourde pluie tranquille ; près de la table, Raymonde et Noëlla travaillaient ensemble à un grand abat-jour vert auquel elles fixaient des perles et, d’un geste impuissant de vieillard que la tristesse ambiante désole, M. Rastel allait d’une fenêtre à l’autre et, soulevant le store :

— Quelle pluie, mes enfants, disait-il. Ah ! mais… mais… quel déluge !

Jamais Édouard ne s’était montré aussi attentif et délicat. C’est d’un geste véritablement caressant qu’il offrait à sa jeune élève un livre, un feuillet, qu’il lui indiquait une note ou qu’il se penchait en la priant de se répéter. Paule devinait chez lui quelque chose d’anormal et elle ne pouvait se soustraire à un sentiment d’attente qui l’oppressait. Aussi quand, la leçon terminée, elle le vit prendre un visage nouveau qui annonçait la confidence, d’elle-même, son â-