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L’EXPIATRICE

demander :

— Avez-vous bien joui de votre soirée, hier ?

— Certes, répond Paule.

— Alors… et il retient instinctivement sa voix, je ne vous l’ai pas gâtée par ce que j’ai dit, à table ?

Elle fit signe que non, mais en protestant, avec une fermeté douce, que les sentiments de ses cousines étaient les siens.

Une irritation impatiente fit tressaillir tous les muscles de son visage, mais, l’ayant regardée, il essaya plutôt des reproches tendres.

— C’est à cela, se plaignit-il, qu’auront abouti mes efforts ? Il m’en coûtait de dire ces choses et j’aurai mal exposé mes principes. Je parierais même que vous n’avez pas deviné quelle était la personne à qui je m’adressais uniquement ?

Paule ne répondit point, mais son âme palpitait comme un petit oiseau captif, dans la main de l’oiseleur.

— J’étais venu pour une seule, continua-t-il : j’avais droit à sa présence durant une soirée… C’est ce que je me suis dit et j’ai voulu à la fois lui ouvrir les yeux, car je désire son bien, et me justifier de ne pas aimer les tiers.

Il quitta du regard le livre qu’il feuilletait.

— Vous avez vu ce qu’elles sont ? demanda-t-il. De charmantes fanatiques. Aurai-je la douleur de constater un jour que mon élève leur ressemble ?

— Elles sont dans la vérité, murmura Paule.

Un nouveau tressaillement parcourut son visage, mais ce n’était plus de l’irritation.

— Enfin, dit-il s’efforçant à conserver son sang-froid, je ne vous parlerai jamais de ces choses, en tant que principes, que devant témoins. Vous êtes jeune et il n’est pas dans mes habitudes d’abuser de la faiblesse.

Mais le plus difficile n’était pas dit. Accablé il hésitait. Enfin, se penchant, tout anxieux :

— Votre intention, demanda-t-il, n’est pas d’entrer au couvent, un jour ? Non, n’est-ce pas ? Non ?…

Paule demeura saisie.

— Oui, fit-elle, c’est décidé.

Le sang colora jusqu’au front d’Édouard.

— Pourquoi, siffla-t-il avec une violence contenue, cette résolution désespérée ?

— Le monde est trop méchant, dit Paule, trop laid ; je veux le quitter. Au couvent, je serai parfaitement heureuse et je ferai du bien.

— Qui vous a poussée à cela ? questionna-t-il, toujours très rouge et les doigts froissant les feuilles du livre.

Triste de son émoi, la jeune fille assura :

— Personne. Ce sont les circonstances qui m’ont ouvert les yeux.

— Mais vous vous êtes confiée à quelqu’un ?

— Oui : à ma grande amie du Foyer, à sœur Éloi, ma première protectrice, et enfin à mon confesseur.

— Et ils vous ont dit… ?

— Ils m’ont tous trois conseillé d’attendre une couple d’années et même de garder le secret de ma décision.

Il eut un grand soupir de soulagement.

— C’est cela, fit-il, attendez. Rien ne vous presse : vous êtes si jeune. Attendez et vous jugerez mieux, plus tard.

Alors, il lui donna sa leçon, comme de coutume, mais avant de la quitter, il lui dit un dernier mot.

— Parlez-vous de moi, quelquefois ? demanda-t-il. Avez-vous l’idée de raconter ce que je puis vous dire qui sort de mon rôle strict de professeur ?

Elle dit que non et c’est à quoi il s’attendait.

— C’est bien, approuva-t-il. Je déteste les tiers, je vous l’ai avoué, je crois. Que les pauvres petites paroles qu’il m’arrive de vous offrir restent entre vous et moi, n’est-ce pas ?

Et il appuya avec volupté sur ces mots : vous, moi.

XII


Dans le dortoir de l’infirmerie où on l’a confinée pour une quinzaine, c’est à bras ouverts que sœur Éloi accueille sa jolie visiteuse. Ce n’est pas aujourd’hui dimanche, mais désormais, sœur Éloi reçoit indifféremment la semaine comme les jours fériés car elle est au repos depuis une terrible crise de rhumatismes qui l’a laissée toute débile et douloureuse.

Elle supporte d’ailleurs fort mal l’inaction et rien ne pouvait tant lui faire plaisir que cette apparition soudaine de Paule.

Aussitôt, entre elles deux, la conversation s’engage, intarissable. Depuis tant d’années qu’elles se connaissent, elles ne sont pas encore parvenues à tout se dire. La jeune fille a enlevé son manteau qu’elle dépose, retourné, sur l’une des deux petites couchettes en fer émaillé, que contient ce dortoir en miniature. Satinée et fleurie, la doublure se montre ainsi au grand jour et Paule elle-même apparaît vêtue d’une chemisette de crêpe rose et d’une jupe à plis couchés dont les trois ou quatre tons de brun, de bleu, de beige se mêlent par larges carreaux.

Sœur Éloi ne perd rien de ces détails et, devant les bons yeux qui la contemplent, la scrutent, la pénètrent, Paule s’en veut d’avoir à ramener sans cesse son esprit au présent ; de lui-même, il serait toujours au souvenir d’Édouard qu’elle aime et dont elle se sait aimée. Pourquoi Édouard si indépendant envers tous s’est-il pris pour elle de cette grande tendresse ? Elle ne peut croire qu’il songe à l’épouser. La différence d’âge est trop forte, entre eux. Et, s’il devait, d’ailleurs, déclarer un jour ses sentiments, pourquoi en ferait-il actuellement un si secret mystère ? Paule est plutôt convaincue qu’il l’aime par soif de bonheur, lui qui a souffert tout jeune, comme l’a raconté Noëlla, et dont le cœur dépourvu est tout pareil à celui de sa petite amie.

C’est effrayant ce qu’il l’avait prise, déjà, et si l’ardeur était la même de son côté, comme ils vont saigner, au jour de la séparation ! Ne serait-ce pas prudence de commencer dès maintenant à rebrousser tout