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L’EXPIATRICE

sonne que les arrivantes prirent pied dans St Antoine. Le souper était prêt, la maison chaude et la table dressée. De plus, par son air rayonnant et sa politesse empressée, Mme Bergeron leur faisait fête comme à des parents longtemps désirés. Ô la cordiale réception !

— Mais, s’était bientôt informée Mme Deslandes à travers sa verve intarissable vous êtes toute jeune, vous ma petite madame ?…

— Je m’en vais sur mes trente ans, avait répondu l’interpellée en grasseyant et en rougissant avec candeur.

Aussitôt que la table avait été enlevée et la vaisselle nettoyée et remise en place, Mme Bergeron s’était retirée, de peur, avait-elle dit, que son mari ne s’impatiente après les enfants.

— Vous en avez plusieurs ? avait demandé Mme Deslandes.

Paule la voyait encore répondre : « Six »… pendant que ses grands yeux bruns s’illuminaient de fierté et que le double menton s’accusait, sous son visage rond et blanc.

La jolie scène qui s’est si bien gravée dans sa mémoire, Paule ne l’a jamais rapportée à ses cousines. Pourquoi ?… Oui, au fait, pourquoi ? Elle n’est pas raisonnable. C’eût été le plus heureux merci à leur offrir et un merci qu’elles méritaient bien.

Paule reste songeuse.

Peu à peu, un sourire intérieur détend sa figure sérieuse ; elle laisse échapper un léger soupir et, sans plus d’hésitation, retourne à la lettre commencée. C’est d’une main délibérée qu’elle parachève la première page à laquelle une deuxième puis une troisième s’ajoutent simultanément. Cette fois, Louisette n’aura point à répliquer.

L’âme dilatée comme après une action héroïque, la jeune fille cachetait l’enveloppe quand la sonnette retentit à la porte d’entrée.

— Le docteur ! s’exclama-t-elle à mi-voix, en se hâtant d’apposer le timbre au coin de l’enveloppe.

Il ne fallait pas faire attendre cet excellent homme toujours un peu pressé, ce qui est la tare des gens importants !

De haute taille, carré, solide, les yeux gris foncé, les cheveux argentés et la voix gaillarde, tel apparaissait le docteur Beaudette, l’unique représentant de la Faculté, à St Antoine de Tilly. Il y était fort aimé. On le sentait ferme sous sa bonhomie et sa conduite régulière aussi bien que la profonde bonté de son cœur lui avaient assuré à tout jamais la confiance de ses compatriotes.

— Ah ! la voilà… C’est elle ! s’écria-t-il en apercevant Paule qui entrait.

Et, à l’énergie de son exclamation, on eût pu croire que la jeune fille revenait de quelque long voyage quand, en réalité, le docteur la visitait l’avant-veille encore.

— Et puis, comment ça va-t-il, par le temps qui court ?… interrogea-t-il en la faisant asseoir devant lui et en la scrutant d’un regard incisif.

— Toujours bien, docteur, assurait Paule en souriant.

Mme Deslandes s’empressa d’intervenir.

— Je crois qu’elle vous dit vrai, docteur. Pour ma part, je n’ai qu’un reproche à lui faire : c’est qu’elle ne s’accorde pas assez de distractions. Son âge réclamerait tout autre chose, à mon humble avis. Ne pensez-vous pas, docteur, qu’il lui serait favorable de s’égayer un peu ?…

— Parfait, assura-t-il. Je vous approuve en tous points et vous me préparez les voies, ma chère dame, car je venais justement en ambassadeur auprès de cette petite demoiselle.

Il s’était assis, son paletot bien ouvert et ses deux fortes mains posées à plat sur ses genoux.

— Vous connaissez mes filles ? demanda-t-il, en se penchant sur Paule.

La jeune fille répondit affirmativement.

— Et vous leur avez même adressé la parole, quelquefois ?… Sur le perron de l’église, le dimanche, après la messe ?…

Paule se mit à rire.

— N’est-ce pas ?… insista-t-il.

— J’ai échangé quelques mots avec elles à peu près tous les dimanches, confessa la jeune fille.

— Mais alors, s’écria le docteur, le pas le plus coûteux est fait. Pourquoi vous arrêtez-vous en si bon chemin ?… Venez donc les voir, reprit-il d’un ton plus sérieux. Elles vous ont déjà rendu une petite visite, paraît-il et elles ont décrété que c’était maintenant à votre tour de vous déranger pour elles. Ces pauvres enfants n’ont pas beaucoup de ressources, ici… Ma femme aussi, dit-il sera contente de vous connaître.

Il s’était levé.

— Ainsi, conclut-il, j’emporte votre promesse ?… Au fait, quand viendrez-vous ?

— Si elles veulent bien me recevoir demain après-midi… commença Paule.

— C’est ça. Venez demain après-midi. Elles vont vous attendre sans broncher. Allons, au revoir. Et continuez d’être une bonne petite fille. Il est entendu, Madame… Madame Deslandes que vous accompagnez cette enfant. M’avez-vous dit, déjà, qu’elle vous était parente ?… Oui ?… Non ?

— Non, docteur, non. Une parenté de cœur seulement : c’est une chère petite amie dont j’ai eu l’honneur d’être constituée la protectrice.

— Bien, cela, approuve-t-il en ouvrant la porte et en franchissant le seuil d’une enjambée.

Attelé à un berlot et attaché au tronc d’un arbre, son cheval l’attendait près du trottoir.

Le docteur était en tournée.

XVII


Maintenant qu’elle a quitté ses vêtements de sortie et que la voilà installée dans l’un des fauteuils de la salle, Paule peut croire que cette demeure est la sienne, que Marthe et Fernande sont ses sœurs et que cette maman dont les jeunes filles se réclament à tout instant est aussi bien à elle de même que le papa absent dont il est également question ci et là.

Que d’amitié elles lui témoignent, Marthe et Fernande ! Marthe, surtout… C’était donc sincère ce désir qu’elles lui expri-