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L’EXPIATRICE

— En ce cas, viens prendre une bouchée pendant qu’il en reste encore. Nous avons du monde, mais j’espère que cela ne te fera pas peur…

Le frère de Marthe et de Fernande paraissait résumer en lui ses deux sœurs. Grand, mince, agile, très brun tant du teint que de la chevelure, il avait le nez droit et long, la bouche longue, aux lèvres peu saillantes et les sourcils tout proches des yeux. Ces derniers, noirs comme du charbon, prenaient facilement une expression câline et, probablement à cause de cette particularité, Paule, en le voyant, pensa à Jean-Louis. Il paraissait très gai, très jeune et brûlant de vie contenue, à tel point, même, que Paule ne pouvait supporter la vivacité de son regard. Positivement, il l’intimidait.

D’ailleurs, après cette arrivée inopinée du jeune homme, Mme Deslandes et sa protégée ne voulurent point s’attarder et en dépit des protestations de Marthe et de Fernande qui assuraient qu’Henri n’était point une visite rare, elle se retirèrent bientôt en promettant de revenir.

Dehors, Mme Deslandes mit sous le sien le bras de Paule et se faisant une trouée parmi les flocons blancs qui tombaient comme en plein hiver, elles marchèrent à pas pressés.

— Des gens très aimables disait Mme Deslandes, et tout à fait comme il faut.

— Charmantes, ces jeunes filles ; la mère leur donne l’exemple, d’ailleurs.

— Ce jeune homme deviendra quelqu’un. On voit qu’il est — passez-moi l’expression. Melle Paule, ce n’est peut-être pas très élégant — pourri de talent et l’énergie ne doit pas, non plus, lui faire défaut.

— Ce sera bien comme vous en déciderez, ma chère petite, mais à votre place, il me semble que je les visiterais encore…

Et Paule répondait :

— Oui… Oui… Oui…

 

À peine Paule prenait-elle le trottoir qu’elle se sentie cueillir par la taille et entraîner au pas de course, ou peu s’en fallait, tandis qu’une voix connue implorait à son oreille :

— Ayez pitié, Paule. Soyez notre salut. Si vous nous refusez, nous sommes perdues.

C’est Marthe Beaudette qui l’aborde de cette singulière façon alors que derrière elles, Fernande donne en riant deux mots d’explication à Mme Deslandes.

— Notre oncle du rang des Aubin dîne à la maison, aujourd’hui ; Marthe ne les aime pas et elle compte sur Paule pour s’isoler d’eux. Aussi, nous vous aurions beaucoup d’obligation, Mme Deslandes, si vous vouliez bien venir prendre le dîner avec nous.

Mme Deslandes sourit.

— Emmenez ma petite Paule, dit-elle. Je veux bien vous la prêter. Quant à moi, je dînerai à la maison après quoi je ferai une bonne sieste.

Marthe, maintenant, tournait la tête essayant d’y voir à travers la foule qui revenait de la grand’messe une longue procession.

— Dépêchons-nous, fit-elle. Pardon si je vous essouffle à marcher vite, mais c’est qu’elles sont capables de chercher à nous rejoindre. Ce sera assez tôt de les envisager à la maison.

— Vous les aimez aussi peu que cela ? murmura Paule.

— Tout au fond de moi, oui je les aime. Je sens, en tous cas, que je pourrais les aimer ; mais elles me tombent sur les nerfs ! ! ! Elles sont poseuses comme vous ne vous en faites pas d’idée !

Lorsque Mme Deslandes les eut quittées, Fernande se glissa de l’autre côté de Paule ! Depuis quinze jours que les nouvelles amies avaient fait officiellement connaissance, elle s’étaient revues presque quotidiennement et l’intimité avait crû entre elles sans altérer bien au contraire l’affection naissante, Paule, comprenait mal, maintenant, qu’elle eût déjà cherché à fuir les filles du docteur.

— Que je suis contente de vous avoir à dîner avec nous ! confiait Fernande. Mais ce n’est pas par intérêt, vous savez… Je ne suis pas une passionnée comme Marthe, moi, mais je sais bien, tout de même le reconnaître quand quelqu’un me plaît.

Le docteur se présenta le premier à la maison, après les jeunes filles. Son front était soucieux. Sans paraître remarquer la présence de Paule, il demanda à ses filles, en s’adressant en particulier à l’aînée, pourquoi elles n’avaient pas pris leurs cousines avec elles.

— Elles connaissent le chemin, répondit Marthe.

Il ne releva point l’impertinence et demanda seulement, au bout d’un instant, si son fils était rentré.

— Je ne sais pas, répondit encore Marthe.

— Je ne pense pas, fit à son tour Fernande qui ajouta :

— Je vais aller voir en haut.

En apprenant que le frère de ses amis se trouvait de nouveau à St Antoine, Paule sentit le sang lui monter aux joues comme si les yeux de jais qu’elle n’avait point oubliés se fussent posés sur elle.

Mme Beaudette arriva avec sa belle-sœur, le plus jeune des cousins qui pouvait avoir treize ans et rappelait d’une façon frappante le docteur et enfin les fameuses cousines, au nombre de deux seulement.

Rosa était grande et blonde, avec un teint brouillé. Bernadette plus petite, brune et les yeux pointus.

Après que Fernande les eût nommées à Paule, elles s’assirent tout au bord de leurs chaises et s’appliquèrent à prendre un air indifférent ; mais à la dérobée, chaque fois qu’elles en avaient la chance, elles dévoraient du regard l’étrangère.

Avec le dernier contingent, c’est-à-dire son oncle et ses deux cousins, Henri parut. Il salua Paule qu’il ne parut pas autrement surpris de retrouver là, chez lui, puis il s’en fut s’assoir non loin de son père.

La tante, d’aspect un peu morose, mais sans doute femme de tête, à en juger par ses réflexions, engagea aussitôt la conversation avec les hommes pendant que Marthe aidait sa mère et que se libérant peu à peu de leur excessive réserve, les cousines commençaient