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L’EXPIATRICE

Les demoiselles Rastel mandaient aux exilées que l’avocat Létourneau, souffrant depuis assez longtemps d’un épuisement nerveux, désirait un repos dans son village natal et qu’en conséquence force serait bien de lui livrer la maison pour le 15 octobre. Paule était priée de dire ce qu’elle décidait pour elle-même. Les portes de la Pension lui restaient ouvertes pour peu que le docteur Beaudette la jugeât assez remise pour supporter à nouveau la ville. Si elle préférait prolonger son séjour à l’air pur et vivifiant de la campagne, nul doute qu’on ne trouvât à la caser, soit à St Antoine même, soit ailleurs. On aviserait aussitôt sa décision connue.

Paule médita longtemps sur cette lettre. Si son visage demeurait impassible, le combat n’en était pas moins tumultueux, au fond d’elle-même. Comme quelques semaines auparavant, elle se demandait : « Quel parti leur agréerait le mieux ? »

Sa récente aventure avec Henri la rendait peureuse vis à vis de l’autre et l’idée de se retrouver sous le même toit pour lui, exposée à le rencontrer à tout moment et en butte à leurs soupçons à elles lui devint vite insupportable. Elle se convainquit que ni Raymonde ni Noëlla ne pouvaient désirer cet état de choses et qu’il ne lui restait qu’à opter pour la campagne : ce qu’elle fit.

Si elle avait été majeure, ce n’est pas la campagne mais le couvent qu’elle aurait réclamé. Seulement, sœur Éloi l’en avait avertie, sa grand’mère elle-même avait désiré qu’elle ne fixât point son avenir avant d’avoir atteint sa majorité — tout au moins ses vingt ans.

Ce fut d’un air dubitatif que Mme Deslandes reçut les ouvertures de Paule.

— Êtes-vous sûre, demanda-t-elle, de ne point vous ennuyer, ici, cet hiver ? Vous ne savez pas ce qu’est l’hiver à la campagne.

— Mais, répliqua la jeune fille, c’était l’hiver, lorsque nous sommes arrivées.

— Tout nouveau tout beau, Mlle Paule. Et puis, le printemps était tout proche, sans compter que le repos et un calme absolu étaient précisément ce qu’il vous fallait, alors. Enfin, conclut-elle, nous en parlerons au docteur, si vous voulez bien. Outre qu’il connaît mieux que personne ce qui peut vous être salutaire, il pourra sans doute nous indiquer les logements à louer s’il y en a.

À sa première apparition, le docteur fut donc mis au courant et consulté. D’un ton sec, il répondit d’abord que des maisons à louer, il n’en connaissait point à St Antoine. Puis, passant à la question de santé, il déclara que, évidemment, la campagne restait l’idéal pour sa patiente.

— Toutefois, ajouta-t-il, si elle devait s’y ennuyer et retomber sur elle-même, ce serait mauvais. Dans le cas contraire, je le répète, sa santé ne peut que s’améliorer encore. Tenez-vous absolument à ne point quitter St Antoine ? demanda-t-il. Une autre campagne, dans le genre de celle-ci, vous conviendrait-elle aussi bien ?

Et, ne recevant point d’objection de leur part :

— Mon gendre, dit-il, possède à Ste Luce de Rimouski une petite maison ; rien de bien drôle : une maisonnette en bois, d’ailleurs à moitié meublée et qu’il vous abandonnerait pour un bien modique loyer… Peut-être même qu’il ne voudra accepter aucune redevance car, je le répète, il ne s’agit pas d’un palais. Mais c’est au bord de la mer : c’est sain, fortifiant…

— Ste Luce de Rimouski ? répétait Mme Deslandes. Où est-ce, au juste ? Comment s’y rend-on ?

— C’est à environ 175 milles d’ici, renseigna le docteur. Quant au trajet, il est facile : vous prenez le train de 4 heures à St Appollinaire — le train d’Halifax par lequel vous êtes venues de Montréal — et vous vous rendez tout droit à Luceville où vous arrivez à minuit moins quart. De Luceville à Ste Luce, il y a un mille que vous faites à pied ou en voiture, selon vos dispositions…

— Nous arrivons à minuit seulement ! se récriait Mme Deslandes, aussi excitée que si elle se voyait déjà en route. Mlle Paule, qu’en pensez-vous ?

— Je suis toute prête à partir, répondit simplement la jeune fille.

— Quelle intrépidité !… s’écria le docteur de son ancienne voix joviale. Voilà ce que j’appelle, moi, avoir du cœur au ventre. Parlez-moi de ça. On ne met pas deux heures à trancher une question !

Il posa sur l’épaule de Paule sa lourde main.

— Vous êtes, prononça-t-il, une brave petite fille. Donc, j’écris à mon gendre dès ce soir et comptez sur moi pour toute l’aide dont vous pourriez avoir besoin. Et surtout, ne vous croyez point engagées. Même rendues là-bas, si le pays ne vous plaît point, dites-lui adieu sans plus de formalités. D’ailleurs, promit-il, nous en recauserons.

XX


Depuis au-delà d’une semaine, un spectacle aussi inattendu que déconcertant se prolonge sous les yeux de Paule : Mme Deslandes est de mauvaise humeur. Cela a commencé à Luceville, au débarqué du train : la bonne dame a tout de suite marmotté des choses contre l’insuffisance de l’éclairage ; puis, elle a trouvé que l’auto manquait de moelleux ; à l’hôtel où il a bien fallu passer la première nuit, ç’a été plus accusé encore. Réflexions amères, gestes d’impatience, mouvement raides et brusques, rien n’a manqué à la démonstration et à côté de ce personnage fabuleux — Mme Deslandes hors de son caractère — Paule se faisait toute petite.

La visite, effectuée le lendemain, de cette maison que le gendre du docteur mettait gratuitement à leur disposition fut un désastre. Il est certain qu’auprès de la spacieuse et confortable demeure de St Antoine, celle-ci ne paye pas de mine : quatre pièces exiguës, au plancher noueux et aux poutres saillantes, surmontées d’un grenier. Quant aux meubles, il valait d’en parler. Mme Deslandes a bien trouvé, entassés pêle-mêle dans un coin de la cuisine, un vieux poêle couvert de rouille, une couchette de fer à l’émail tout éclaté, une table massive, par