un peu plus tard. Pour le moment, je n’ai besoin de personne ; des amies, j’en ai assez maintenant.
Impossible de réduire cette petite obstinée sur d’autres points, si facile.
Entre deux semonces, Paule retournait a ses méditations. Il lui était indifférent que novembre tirât à sa fin et, par son ciel couvert et son haleine plus rude présageât cette saison froide dont Mme Deslandes se faisait un épouvantail. St Antoine importait beaucoup plus, à ses yeux, que Ste Luce où il semblait qu’elle venait seulement d’arriver et pour fort peu de temps. À St Antoine, son âme s’était ouverte et son esprit avait mûri. Sans doute avait-elle peu tardé à y cueillir « l’herbe amère de la souffrance », mais Marthe, par exemple, en la rejetant de son cœur, ne lui avait pas fait un vrai mal. Un peu plus le docteur par qui elle avait connu ce que peut être la dureté d’un homme, mais qui, d’autre part, lui avait donné le spectacle d’une conscience supérieure ; n’avait-il pas poussé le souci de sa santé corporelle jusqu’à se donner la peine de rédiger, à son sujet, une longue lettre pour le confrère de Ste Luce ?…
Le vrai mal lui est venu de Henri. Toutefois, il se peut qu’elle aussi soit coupable vis à vis du jeune homme. Elle lui a jeté bien bénévolement cette révélation : « Je me destine au couvent »… Qui sait si le coup n’a pas été terrible pour lui qui paraissait épris !… Avait-elle bien agi, seulement, en lui confiant ce secret ? En elle, une voix, aussitôt, avait protesté qu’elle s’abusait et sciemment ou non ne disait point la vérité.
Pendant des jours, Paule oubliait ce curieux mouvement de son âme ; d’autres fois, au contraire, son rappel la précipitait dans un abîme de pensées angoissantes.
On la disait faible, profondément anémique : si une langueur incurable la rendait impropre aux austérités du cloître, que deviendrait-elle ? Lui serait-il davantage permis de gagner sa vie elle-même ?… Combien de fois, au Foyer, n’avait-elle pas ouï cette plainte :
— « Si seulement j’avais de la santé »…
Le prêtre à qui, le premier elle avait soumis son projet de vie religieuse lui avait immédiatement conseillé et de faire silence sur sa décision et d’attendre !
Sa grand’mère n’avait-elle pas craint, de sa part, une précipitation funeste ? Et, après elle, sœur Éloi, Élisabeth, Édouard lui avaient répété à plaisir :
— « Attendez. Ne vous pressez point ».
Henri, avait protesté, lui :
— « Ce n’est pas sérieux ? »…
C’est après ces ébranlements que la jeune fille sombrait dans les longs silences qui tourmentaient sa gardienne.
Au milieu de son désarroi des doutes l’effleuraient de leur aile froide. Elle pouvait s’être trompée en préjugeant, si jeune, de ses aptitudes. Il en est qui entrent, de bonne foi, dans les monastères et qu’on renvoie ensuite en leur disant qu’ils n’ont point la vocation. D’autres se laissent circonvenir ou réussissent à abuser leurs supérieurs quittes à reconnaître leur erreur lorsqu’elle est devenue irrémédiable. Ceci, Paule croit bien l’avoir appris d’Édouard un soir qu’il avait grandement scandalisé ses cousines par un discours qui ne leur était point destiné. Les cousines avaient prouvé qu’elles étaient promptes à s’emballer, promptes à se fâcher et fort entichées de leurs convictions.
Qui, ce soir-là, avait raison ? lui ou elles ?…
Paule ne désirait même pas qu’on lui répondit ; mais, qu’elle se sentait esseulée, parfois, en ce vaste monde cependant peuplé de millions d’êtres humains, orpheline sans frère ni sœur, comme elle était, et même sans fortune, sans santé et pour ainsi dire condamnée à repousser les appuis qui s’offraient…
XXI
L’âpre bise de janvier souffle, par habitude, sur la maison résignée. Le vent est nord-est, « un vent qui est terrible au Canada », remarquaient déjà les premiers habitants de la Colonie ; il s’apaisera vers la fin de l’après-midi, selon son habitude encore et alors la maison pourra conserver un peu de chaleur. Mme Deslandes tient gorgés de charbon le poêle de la cuisine aussi bien que la fournaise du passage, mais le défaut de cette maison c’est, on dirait, d’être trop mince. Dès qu’il est un peu vif, l’air la traverse comme il passerait à travers une toile. Si bien que, du matin au soir, pour peu qu’elle prolonge son immobilité, Paule grelotte. Elle ne peut pourtant remuer toujours et, déjà, elle paie par assez de fatigue les mouvements indispensables. À tout prix, elle veut se garder des forces pour la messe du matin et la visite de l’après-midi au Saint-Sacrement. Sans ces deux soleils, comment supporterait-elle les longues journées de souffrance et d’ennui ?…
Parfois, il est vrai, une lettre survient de la ville ou même de St Antoine et perce, de sa petite lueur d’étoile, le voile sombre de son horizon ; mais si les scintillantes étoiles réjouissent les yeux, le privilège de réchauffer les cœurs leur a été refusé et, à l’égard de Paule, il en est ainsi des messages brefs ou longs, inattendus ou longuement désirés que la poste lui transmet.
Hier soir encore un billet est arrivé de la Pension : en avertissant l’orpheline qu’un nouveau dépôt vient d’être fait en son nom, à la banque, on l’exhorte à ne point se priver ; qu’elle consulte le médecin ; qu’elle se passe des fantaisies ; qu’elle distribue des cadeaux ; tout est d’avance approuvé. Pourvu qu’elle ramène à bien sa santé, on n’en demande pas davantage. Quant à lui suggérer encore de revenir à la ville, on y a évidemment renoncé après les refus consécutifs de cet été.
Tout cela est fort bien, mais la malheureuse enfant lit entre les lignes et ces aumônes la brûlent. Ce qui la retient de les rejeter à la face de ses insolentes bienfaitrices c’est l’unique souci de ne point attenter à ses jours. Laissée à elle-même, elle mourrait bien sûr. Car, dans l’état d’affaiblissement où l’a laissée sa dernière grip-