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L’EXPIATRICE

si seulement vous consentiez à y tremper vos lèvres.

Cependant, la pauvre femme perdit son temps à insister et elle dut s’en retourner avec le plateau odorant.

Paule songeait toujours à la mort et à l’éternité vide. Si elle avait refusé de déjeuner, ce n’était pas tant faute d’appétit que parce qu’il valait mieux, jugeait-elle, aider la nature et en finir vite. À tout prendre, la mort totale valait mieux que la vie entremêlée et toujours menaçante.

Elle refusa de même, sans explication, de dîner puis de souper.

— Cela va mal, se dit sa gardienne. Je me demande si ce n’est pas la tête qui se perd ?… Quoi qu’il en soit j’écris ce soir à Mlle Dufresne et demain cet abruti de docteur sera ici ou il aura affaire à moi !

Bourrelée d’inquiétude, elle s’éveilla au milieu de la nuit et, passant un kimono de flanelle d’un mauve changé, au pas étouffé de ses pantoufles, elle se rendit à la chambre voisine.

Paule non plus ne dormait pas : elle songeait. Et cette apparition imprévue de sa compagne en tenue de nuit la troubla si horriblement qu’elle se dressa sur sa couche en poussant un cri terrible.

— Mais non, petite, mais non ! Il ne faut pas avoir peur de Mme Deslandes. Vous savez bien, Mme Deslandes du Foyer !… Là, calmez-vous, enfant. Je venais m’assurer que vous reposiez bien. Avez-vous soif ? Désirez-vous quelque chose ? Qu’est-ce que je pourrais faire pour vous être agréable ? Dites-le à Mme Deslandes…

Paule tremblait comme la feuille. Ses dents s’entrechoquaient et la perturbation fut telle, dans son organisme, que la vraie mort n’aurait pas été plus violente. Enfin et par bonheur une crise de larmes la terrassa.

— Je ne m’en irai plus, lui promit Mme Deslandes extrêmement marrie de ce qui arrivait. Je vais m’asseoir tout contre votre lit : de cette façon, si vous vous éveillez encore, vous me reconnaîtrez, n’est-ce pas ? Vous n’aurez plus peur de moi qui suis si peu dangereuse ?…

Elle continua de lui parler, multipliant les apaisantes paroles, jusqu’à ce que la jeune fille se rendormît. À son tour, elle s’assoupit sur sa chaise et lorsqu’elle se réveilla, en sursaut, ce fut pour voir les grands yeux de Paule fixés sur elle. Le visage de Paule lui parut reposé, tranquille et, en même temps rayonnant, comme après une communion fervente. C’était si singulier que, redoutant quelqu’illusion, elle regarda de plus près, en plissant les paupières. Mais un sourire divin entrouvrit les lèvres de la malade qui murmura, d’une voix qui n’était guère qu’un souffle :

— J’ai compris.

Croyant qu’il s’agissait d’elle, Mme Deslandes répéta :

— Vous avez compris, chère petite ?… Alors, je ne vous effrayerai plus jamais ?

Ce n’était pas cela, mais Paule en garda le secret pour elle. Elle venait de pénétrer le pourquoi de sa vie. Sa vocation, c’était de mourir jeune, en plein renoncement. Auparavant, ç’avait été de vivre très privée, comme une sorte de paria, puis de côtoyer ce qu’on appelle le bonheur de ce monde, afin de souffrir ensuite avec plus de fruit. Elle n’avait jamais été mauvaise ; tout le mal c’est son père qui l’a commis. Elle n’avait pas, non plus, douté de nos saintes Vérités, bien que son imagination malade eût enfanté un monstrueux cauchemar. Jusqu’à la fin, elle restait la brebis fidèle et souffrante du maître des vies, de Celui qui est.

La nuit s’acheva paisiblement. Mais au matin, après une dernière somnolence, Paule reprit tout à coup son air sombre. Une morne désespérance se lisait sur toute sa figure et, en particulier, dans ses grands yeux d’azur noir qui, perdus d’angoisse, bougeaient par moment.

Mme Deslandes griffonna quelques mots sur un papier puis, allant au petit qui dormait encore :

— Vite, lui dit-elle en le secouant, chausse tes bottes de sept lieues et cours chez M. le curé lui dire qu’il vienne au plus tôt parce que notre petite malade se meurt. Tu te rendras ensuite au magasin et tu leur diras qu’ils téléphonent, à Luceville, ce qu’il y a d’écrit sur ce papier.

C’est le docteur qu’elle faisait aussi prévenir.

— Et comme je te dis, prends tes jambes à ton cou !

Terrifié, l’enfant faisait merveille.

La pauvre femme voyait soudain à fond la vérité et, quand Paule eût été sa fille selon la chair, elle n’eût certes pas souffert davantage. Sans interruption, les larmes coulaient de ses yeux et, en se tordant les mains, elle voyageait de la chambre de la petite à la porte d’entrée, pour voir si le secours n’arrivait point.

Rigide, les traits durcis, Paule n’avait seulement pas l’air d’entendre ce que lui disait la pauvre femme et nul artiste n’eût pu sculpter dans le marbre une plus terrifiante statue du désespoir.

Enfin, à travers le vitrage de la porte, une ombre se dessine, toute secourable : c’est le prêtre. Mme Deslandes se porte immédiatement à sa rencontre et, en le précédant vers la chambre :

— C’est urgent M. le curé, jette-t-elle.

Puis, à la mourante, avec une force soudaine de conviction dans la voix :

— C’est, dit-elle, le bon Dieu qui vient à vous et peut-être qu’il voudra vous emporter avec Lui, au ciel. N’est-ce pas que vous voulez bien le recevoir et demander l’absolution, à son ministre ?

Paule tourne péniblement sa tête vers l’arrivant et l’effort amène à son front une pâleur plus grande. Dans ses yeux à demi chavirés passe une indicible souffrance.

— Je ne sais pas, murmure-t-elle. Je ne sais plus… Je veux bien faire.

Et, sous la main levée du prêtre qui l’absolvait en hâte, elle mourut.


XXII


Pour la première fois de la saison, la neige recouvre, de ses fleurettes immaculées, la