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L’EXPIATRICE

tombe de Paule. À la Pension, tout est calme ; rien ne sort de l’ordinaire. Avec le jour qui baisse, voici Édouard qui rentre de ses cours. Le cousin des demoiselles Rastel paraît absorbé mais en même temps plein d’élan, comme si quelque force supérieure le conduisait. Il ne fait qu’entrer à sa chambre et, de son long pas souple, sûr, cette fois, de répondre à sa destinée, il se dirige vers le boudoir.

Raymonde y est seule, inoccupée et pensive. Encore un coup, il eût pu croire qu’elle l’attendait et cette magnifique réponse à son pressentiment secret le flatte.

Pendant qu’il lui débite les banalités ordinaires des revoirs, Raymonde se demande ce qui a bien pu l’amener. Lui-même, redoutant, malgré tout, de voir surgir quelque tiers, ne tarde pas à plonger sa main dans une poche intérieure de sa veste. La lettre qui s’y trouve, il la déplie et la tend à sa cousine en la priant de lire. À la vue du fatal papier, Raymonde n’est pas maîtresse d’un geste d’horreur et son visage se décompose très visiblement.

C’est ce qu’Édouard prévoyait.

Il remet la lettre dans sa poche, et, d’une voix soudain très basse :

— Vous l’aviez lue ? fait-il.

Elle avoue ce qui en est : que la description de Paule l’ayant éclairée, elle avait interrompu à cet endroit sa lecture.

— Qu’avez-vous conclu ?

— J’ai pensé, Édouard, reproche-t-elle avec une infinie tristesse, que vous nous l’aviez gâtée.

— J’avais donc vu juste ! mâchonne-t-il entre ses dents. Et, en punition, vous l’avez envoyée mourir dans cet exil ?…

— Mais Édouard !… Ne dirait-on pas, à vous entendre, que nous l’avons assassinée ? C’est pourtant l’avis des médecins que nous avons suivi. Nous lui avons donné Mme Deslandes. Nous nous sommes astreintes à lui écrire. Enfin, nous l’avons toujours laissée libre de revenir et nous sommes mêmes allées la voir, à St Antoine, en lui offrant de la ramener. Que pouvions-nous faire de plus, je vous le demande ?

— Rien, répondit-il. Mais je vous défends de croire que moi ou un autre ayons pu la gâter. Elle était incorruptible. Le mal n’aurait pu mordre au cristal de son âme et avant de se souiller elle-même elle aurait plutôt assaini le monde entier. En tout cas, il me plairait de savoir ce que vous lui reprochez ?

— Vous lui écriviez à la cachette…

— Et après ? Ce fut mon premier péché et, vous l’avez vu, tout anodine qu’était cette malheureuse lettre, elle s’est d’elle-même détournée. Paule n’en a jamais été effleurée.

— Si elle ne l’a pas lue, elle l’avait au moins acceptée.

— Que prétendez-vous là ? C’est moi qui l’ai semée dans l’escalier : je l’avais mise entre les pages de ce cahier que je lui apportais, le soir de son évanouissement.

Raymonde devint livide.

Noëlla, dit-elle, l’a vue monter à l’étage des pensionnaires.

— Jamais !

— Mais si, Édouard : toujours ce même soir de son évanouissement.

— Vous m’avez pourtant raconté que vous l’aviez eue près de vous jusqu’au moment de la conduire à sa chambre, pour la nuit ?…

— C’était avant le souper. Elle rentrait du couvent et, probablement aveuglée, elle n’a pas vu ma sœur dans le passage ; après avoir essayé d’y voir, cependant, comme si elle craignait d’être épiée, elle est montée.

Il s’absorba, décidé à trouver le mot de l’énigme.

— Ah ! fit-il enfin, en relevant le front, elle a dû distinguer tout de même quelque chose et elle aura pris Noëlla pour moi. J’aimais me trouver sur son passage, lorsqu’elle arrivait de dehors. Cela ne faisait de mal à personne… Je la saluais ; je provoquais de sa part une réponse et c’était suffisant pour une rencontre de hasard. Mais elle se réservait, en vue du couvent, et, ce soir-là elle était résolue à m’éviter ; je lui ai fait avouer. Voilà pourquoi elle aura passé par l’étage des pensionnaires, après avoir cru me voir, en bas.

— Édouard, vous parliez dans votre lettre de rendez-vous. Je me rappelle fort bien.

Lui aussi se rappelait. Accablé, il jeta :

— Nos leçons…

Cette fois, Raymonde ne trouva plus rien à objecter. Accoudée à son fauteuil, elle se couvrit le visage de ses mains et, la mort dans l’âme :

— Il y a eu dans tout cela, gémit-elle, une véritable fatalité.

Il approuva :

— Oui, une fatalité implacable.

Raymonde dégageait lentement son visage.

— Vous l’aimiez, Édouard ? demanda-t-elle.

Il inclina la tête.

— Mais puisque vous la saviez décidée pour le couvent, dites-vous ?

— J’espérais la toucher.

— Et après ?

— Eh bien, il n’y avait qu’une issue, que je sache : je me serais converti et je l’aurais épousée.

Maintenant, le sang colorait le visage de Raymonde.

— Vous aviez, jeta-t-elle, plus que le double de son âge.

— C’est vrai. Elle est venue bien tard…

— Cette fantaisie ne pouvait aboutir, Édouard. On ne se marie pas pour servir de père à son épouse. Chaque état comporte des règles et des lois.

— Le cœur ne connaît ni les règles ni les lois.

— Vous ne l’auriez pas gagnée. Si elle s’était refusée au commencement, c’est qu’elle devait se refuser toujours. Paule voyait juste, dès le premier pas. Et en admettant, par impossible, qu’elle se fût laissé apitoyer, vous n’auriez pas été heureux, ni vous ni elle.

Il s’était levé.

— Vous oubliez qu’elle est morte dit-il. Laissons reposer ses cendres en paix. Puis-je compter que vous expliquerez les choses à Noëlla ?

— Et à Élisabeth, Édouard, c’est affreux d’avoir erré à ce point. Merci à vous qui