débutante. Il paraissait littéralement enchanté. — Est-ce qu’il s’y connaîtrait ? se demanda son impertinente secrétaire. Et, comme il l’invitait de nouveau à établir ses conditions, elle lui demanda un petit relèvement de salaire qui lui fut immédiatement accordé.
Chez Mme Verdon, ce fut un beau tapage. Georgine était la plus jeune et la plus brillantes des pensionnaires ; elle avait bien besoin d’ajouter cette auréole à ses autres avantages… C’était presque un manque de goût. Aussi des figures jaunirent d’envie et, sous les fleurs des congratulations, des épines percèrent. Cependant, l’article passe de main en main. Ceux et celles qui ignoraient l’anglais se faisaient traduire. Émile Verdon savait tout juste le jargonner ; cependant lui aussi voulut prendre connaissance d’ « Être seul ». Georgine voulut bien lui permettre de l’apporter à son travail.
Et les jours passèrent. On atteignait maintenant décembre. Georgine chroniquait toujours à la Page des Dames et, le samedi précédent, le supplément illustré du journal avait reproduit sa photographie — celle qui la représentait souriante — avec cette simple mention : Faverol, gracieuse collaboratrice de la Page des Dames.
Cet après-midi-là, la jeune fille se trouvait seule dans le bureau de son patron et elle cherchait justement un nouveau sujet de chronique, son imagination commençant à demander grâce — Soudain, l’on frappe à la porte.
— Entrez ! permit-elle.
Un homme parut qui pouvait avoir une trentaine d’années. Assez replet, déjà un peu chauve, il était si blond que Mlle Favreau n’hésite pas un instant à le croire Anglais. Aussi fut-ce dans la langue du journal qu’elle s’informa, de ce qu’il désirait.
À sa grande surprise, le monsieur répliqua en français et avec un fort accent d’outre-mer :
— C’est bien ici, n’est-ce pas, le bureau de la Page des Dames ?
Georgine le détrompa.
— Mrs Munroe occupe le bureau voisin, à gauche.
— Ah ! fit-il.
Et après une seconde d’hésitation, il reprit :
— Je serai donc venu droit au but, sans m’en douter. Car je n’avais demandé la directrice de la Page que pour en atteindre une autre, une de ses collaboratrices qui signe : Faverol…
Une joie intense saisit Georgine au cœur. Elle sentit le sang affluer à ses joues et ses yeux rayonner d’un plaisir dont elle ne s’expliquait pas bien elle-même la nature.
— Pardonnez mon indiscrétion, poursuivait le visiteur mais d’après certaine photographie venue à ma connaissance, je ne crois pas faire erreur… Enfin, comme je le disais à l’instant, je me serai rendu droit au but, sans même le vouloir.
—Je suis ici dans le bureau de mon patron, M. Hannett, prononça au hasard Georgine.
— … qui peut revenir d’un moment à l’autre, sans doute ? Je serai donc bref. Moi-même, mes minutes sont comptées.
Avec une volubilité dont ceux de sa race et des races-sœurs ont le secret et qui laissait son interlocutrice haletante, il commença aussitôt une histoire enchanteresse. Non, Georgine n’aurait pu prévoir un tel moment. Dès son premier article, elle se résignait à écrire pour des inconnus dont les cœurs et les visages resteraient à jamais pour elle inexistants. Et déjà, l’un d’eux s’était introduit auprès d’elle et il lui parlait chaleureusement et en toute confiance, comme à une amie de longue date.
Il se nommait Jacques.
Incidemment il put lui dire qu’il comptait vingt-huit ans d’âge. Né en Bretagne, privé tout jeune de sa mère, il était venu au pays avec l’un de ses oncles décédé depuis peu. Son unique sœur restée en France, était aujourd’hui mariée. Lui-même était rédacteur au Quotidien et, en septembre, alors qu’il jouait des ciseaux parmi les feuilles d’imprimés, le titre d’un article l’avait frappé. C’était « Être seul ».
— L’égoïsme ne perd jamais ses droits, chez les hommes. J’avoue que c’est le titre qui m’a tout d’abord attiré. Hélas, je savais et très douloureusement ce qu’est être seul. Enfin, quelle est au juste ma patrie ? J’ai depuis longtemps opté pour le Canada, mais je n’y suis pas né. Pour ceux d’ici, je serai toujours un Français. Retourner à ma terre d’origine ? Je m’y sentirais dépaysé. Mon père est remarié et de graves dissentiments nous séparent, par ailleurs. Je vous le répète, mademoiselle : votre article n’avait pas