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LE SECRET DE L’ORPHELINE

— C’est elle, je suppose, qui vous a présenté ce jeune homme dont vous me parliez, en arrivant ?

À ce rappel de Jacques, un enchantement paraît dans les beaux yeux de Georgine.

— Pas du tout ! s’écrie-t-elle. Il est venu de lui-même, ou si l’on veut par un effet de télépathie.

Comme son hôtesse paraît mal à l’aise devant ce mot savant, Georgine se reprend avec habileté.

— Outre mon travail de secrétaire, dit-elle, je donne un article par semaine au journal où je suis. Malliez travaille aussi à un journal, lequel s’imprime en français. Ayant lu mon premier billet, il désira me connaître et me proposa de le traduire ainsi que d’autres parmi ceux qui suivraient, pour son propre journal…

— On dirait presque un conte.

— Toute ma vie est un conte de fée, proclame Georgine, non sans une pointe de vanité satisfaite. Mon amie Charlotte me le répète sans cesse. Pauvre Charlotte ! Pour elle, c’est bien différent : j’ai rarement vu une vie aussi régulière. Mais savez-vous, marraine, que vous ne m’avez encore rien dit de mes parents ?

— Ah bien, mon Dieu, que voulez-vous que je vous en dise ? s’écrie Mme  Favreau avec cette brusquerie désabusée dont, par deux ou trois fois déjà, elle a donné le spectacle à la jeune fille. Je les ai très peu connus, après tout.

Mais, se rappelant à temps que sa filleule s’est rendue ici, ce soir, surtout pour entendre parler de ses parents, elle rougit et sa main doit chasser un essaim formidable de mouches. Enfin, elle reprend :

— Votre maison était à trois portes de la nôtre, mais vous comprenez qu’il n’y avait pas beaucoup de relations entre notre famille et la nôtre. Votre père était pharmacien et mon mari simple machiniste. D’ailleurs, lui qui savait mieux s’exprimer que moi, il adressait assez souvent la parole à votre père ou aux enfants ; mais, pour ma part, je les connaissais seulement de vue et par ce que j’en entendais dire. Je peux bien vous dire que vos parents passaient pour un peu hauts. Je ne les blâme pas : j’approuve ceux qui savent tenir leur rang. Un jour, le feu prit chez vous et mon mari qui était d’une générosité folle quand il s’y mettait, risqua sa vie, on peut bien le dire, pour sauver un de vos frères. Il n’y réussit pas, c’est vrai…

— Un de mes frères est mort brûlé ? s’écria Georgine avec horreur.

— Il a été asphyxié par la fumée. C’était un petit infirme qui n’avait jamais marché. Votre père était robuste mais votre mère, maladive. Il me semble la voir : une petite femme brune, chétive, toujours si bien mise et distinguée On la disait bonne musicienne.

— Est-ce que je lui ressemble ?

Mme  Favreau pencha la tête et parut se recueillir.

— Non, prononça-t-elle enfin, je vous mettrais plutôt du côté de votre père. Il portait sa barbe, une barbe brune qu’il taillait en pointe, et cela lui cachait une partie de la figure, mais pour les yeux, le nez, vous avez quelque chose de lui, autant que je peux me représenter son image. Il y a si longtemps de cela. Mais qu’est-ce que j’avais donc commencé à raconter ?

— Que le feu avait pris…

— Ah bon. Mon mari s’était brûlé les mains. Le docteur — je ne sais pas s’il était médecin, mais tout le monde l’appelait ainsi — lui fit gratuitement tous les pansements jusqu’à ce qu’il fût bien guéri et, quelques mois après, lorsque vous êtes venue au monde, il nous demanda d’être parrain et marraine. Je suis sûre qu’il s’agit de vous parce que les autres étaient tous des garçons et que votre mère est morte très peu de temps après votre naissance.

— Est-ce moi qui a été la cause de sa mort ? demande Georgine tout attristée.

— Comme je vous le disais, votre mère n’était pas très forte et votre père a prétendu que cet incendie et surtout la mort de votre petit frère l’avaient trop fortement ébranlée.

— Qui m’a donné les premiers soins, alors ?

— Je crois qu’on vous a placé dans un hôpital de maternité. Peu après, votre père a vendu sa pharmacie et il est allé s’établir à Détroit, en sorte que nous n’avons plus entendu parler de lui.

— J’avais combien de frères ? interroge Georgine à qui il semble vivre un rêve.

— Trois. Quatre avec le petit infirme.

— Et dire qu’ils vivent très probablement encore. Et mon père aussi ! Je ne comprendrai jamais comment j’ai été ainsi séparée des autres. Ah ! marraine, pourquoi vous être laissée intimider par mon père et ne m’avoir pas suivie ! Tenez, voilà pour votre punition.

Et passant son bras autour du cou de la