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Page:Beauregard - Le secret de l'orpheline, 1928.djvu/31

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LE SECRET DE L’ORPHELINE

tions de Mrs Munroe et où finissait la diplomatie.

— À moins, reprit la digne lady, à moins que vous ne teniez aucunement à retourner chez M. Hannett. On peut avoir ses raisons.

Georgine garda le silence.

— Enfin, si vous aimiez essayer ailleurs, avant de revenir ici — parfois, un changement de milieu constitue un véritable repos — je pourrais vous offrir quelques adresses que je gardais en vue de ma nièce, justement. Tenez, je les ai, ici.

Georgine se garda bien de refuser l’aubaine. Les démarches jusqu’ici tentées par elle n’avaient pas abouti et M. Hannett ne disait que trop vrai en prétendant que cela coûte cher de ne rien gagner et de tout payer.

— Et maintenant, que je vous fasse voir mes notes, auxquelles vous me permettrez d’ajouter quelques explications indispensables. Mais auparavant, dites-moi donc si vos recherches personnelles ont abouti ?… Avez-vous pu savoir si votre père vivait encore ?

La voix de Georgine s’étrangla en prononçant :

— Il… est mort.

Et ses traits, d’une pâleur mate, se creusèrent de si tragique façon que Mrs Munroe, abandonnant sa première hypothèse qui avait pour pivot M. Hannett, pensa que le mystère partait plutôt de ce côté.

Elle risqua toutefois une question de plus :

— Et vos frères ?

— Je n’ai pas de frères.

— Voici donc mes notes. Retenez-vous toujours, Miss Favreau ?

— Plus que jamais. J’aurai le devoir d’en faire part à…

— Votre marraine ? Que je vous félicite, tout d’abord ; car votre prévision était juste, au sujet de son fils. Mais vous comprendrez sans peine qu’il m’aurait été matériellement impossible de recueillir tous les documents que vous auriez pu désirer. Je n’ai que des noms et des adresses. Mais avec cela et un peu de correspondance, vous parviendrez, sans peine à reconstituer l’histoire qui vous intéresse.

Tout en parlant, elle avait sorti d’un tiroir une liasse de papiers dont elle fit sauter la bande élastique. Durant une dizaine de minutes, Georgine écouta attentivement les explications qu’on voulut bien lui donner, mais son visage restait morne et ses lèvres gardaient, à leur commissure, un pli désabusé. Comme s’il ne s’agissait point là de ce qui, quinze jours plus tôt, la soulevait d’enthousiasme et d’espoir.

Rentrée chez elle, Georgine mit d’abord en sûreté les documents qu’elle apportait, puis, ouvrant la liste d’adresses que lui avait remise Mrs Munroe, elle eut la surprise de voir figurer parmi quelques autres le nom de Gill, le photographe.

Sa propre émotion l’étonna. Qu’était pour elle cet homme, sinon un atome de ce passé qu’elle reniait, de cet heureux et insouciant passé dont elle s’apprêtait à faire bonne justice…?

Aussi, hésita-t-elle à se présenter chez lui. Il ne manquerait pas de la reconnaître ; il l’avait photographiée, moins d’un an auparavant, et elle n’était pas de celles qu’on oublie ; et puis, employée chez ce photographe en vogue, elle s’exposait à revoir des connaissances qu’elle était pourtant décidée à fuir. Mais une attraction invincible, l’étreinte désespérée, peut-être, de ce passé qu’elle s’entraînait à haïr, fit qu’elle se rendit en premier lieu chez cet homme.

C’était un beau jour ensoleillé, précurseur du printemps. Georgine n’avait pas accoutumé de promener ainsi sa liberté les jours non fériés. Dans son organisme fatigué, une légère détente se produisait. Elle allait lentement, tant pour se protéger des éclaboussures, car la neige fondante faisait les rues abominables, que pour mieux savourer la douceur de cet instant. Les étalages nouveaux, les vitrines des fleuristes, la foule plus nombreuse dont s’animait la rue, tout parlait du printemps et déjà un espoir, encore bien imprécis germait au cœur de la pauvre désemparée : qui sait ce que l’avenir lui réservait ?…

Elle arrivait bientôt chez Gill. Elle se reconnaissait si bien ! La porte était ouverte sur l’escalier de fer qu’elle gravit. Dans la salle aux innombrables photographies, la même personne était au pupitre. Son sourire aimable s’en alla de lui-même lorsque Georgine lui dit pourquoi elle venait.

— Si vous voulez attendre ? proposa-t-elle. M. Gill est en ce moment occupé.

Ce ne fut pas trop long. Gill parut. Oh ! lui aussi, elle le reconnaissait. Sa pâleur mate, son front qu’il ridait, ses cheveux de couleur indécise, cet air d’adolescent bien grave… Mais, chose étonnante, lui ne parut pas la reconnaître. Il fut très courtois, mais cette absence du souvenir mettait entre eux comme une barrière.

Oui, son employée allait la quitter. Les