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LE SECRET DE L’ORPHELINE

vant la coutume universelle. Un point et voilà toute son histoire future. Auparavant, elle se sera desséchée avec l’âge ; sa peau se sera noircie ; son nez se découpera en fort relief et elle aura enfin l’aspect classique de la vieille demoiselle difficile à vivre, cousue de petites manies et que chacun fuit.

Merci, vieux Foley, et vous aussi chère dame Favreau férue de tous vos titres ! Pour du bel ouvrage, c’est du bel ouvrage que vous avez fait.

En attendant d’être possédée par la rage de tracasser tout le monde, Georgine se tient dans une farouche solitude et si certaines phases de ce passé si brusquement clos font encore battre son cœur, il est d’autre part évident qu’elle s’endurcit de jour en jour. Oui ou non, a-t-elle promis d’être à la hauteur de sa situation ? Grâce au ciel, sa fierté est sortie indemne du naufrage.

Ses anciennes relations achèvent sans doute de l’oublier. En quittant Mme Verdon, elle a dû donner sa nouvelle adresse et, soit par des visites, on n’a pas manqué de venir la relancer au gîte temporairement choisi. C’est seulement depuis qu’elle est ici, dans ce quartier excentrique qu’elle connaît la solitude désirée. Mais que c’est dur, elle avait négligé de la prévoir ; ce genre de vie auquel elle était si peu préparée et qui répond si mal à ses aspirations. Peut-elle espérer, de bonne foi, que sa nature se modifiera suffisamment pour qu’elle puisse s’y adapter ?

Cet aveu donné à sa faiblesse, Georgine tente encore une fois de se ressaisir. Elle a une lettre à écrire. Entreprise difficile puisqu’il ne lui sera permis de livrer qu’une part infime de sa pensée. C’est pour cette pauvre Mme Favreau plus solitaire qu’elle, encore, et qu’aucune considération ne pourrait la décider d’abandonner tout à fait. C’est le dernier devoir auquel elle songerait à se soustraire. Elle ne demande qu’un peu de répit à cause de Charlotte, à cause de Jacques Mailiez, parce qu’il faut qu’on l’oublie et que le temps doit faire son œuvre. À la pensée de l’émotion que vaudra à la pauvre femme ces révélations qu’elle lui réserve, Georgine sent les larmes qui lui montent aux yeux tandis qu’un sanglot convulse son cœur.

Mais il est impossible qu’elle tarde plus longtemps à lui donner de ses nouvelles. Comme la dernière fois, elle s’excusera du mieux qu’elle pourra de son apparent oubli et elle annoncera sa visite, sans déterminer de jour et en oubliant, surtout, d’inscrire son adresse. Voilà le billet qu’il lui faut rédiger.

Georgine s’installe à son secrétaire ; elle place devant elle une feuille de papier, prend son stylographe et trace quelques lignes. Mais déjà, les mots lui manquent. Comment dire ? Par quoi commencer ? Quel travail ingrat. Tout est à la fois malaisé et ennuyeux, aujourd’hui. Si elle remettait à demain de finir cette lettre ? Après une journée de travail, elle se sentira indubitablement mieux disposée qu’après une journée d’ennui. Et cependant, non : puisqu’elle n’a rien à faire, pourquoi remettre à plus tard ? Est-ce bien l’active, la courageuse Georgine d’autrefois qui en est réduite à ces atermoiements ?

Elle revient donc à sa lettre, s’y cramponne et après avoir copieusement raturé et repris, elle a la satisfaction de pouvoir glisser dans son enveloppe la missive terminée. Tout à l’heure, en allant souper, elle la jettera dans la boîte.

Car Melle Favreau n’a ici que sa chambre. Le matin, elle déjeûne d’un croissant et d’une tasse de café, dans un restaurant des environs. Le midi, elle se rend au Killarney, foyer irlandais tenu par les Sœurs Grises qui se trouve à portée de son bureau. Le soir, revenue dans son quartier, elle va à certaine pension pour dames dont elle est bien satisfaite.

Et voilà comment la vie se recommence. Certes, sa nouvelle chambre ne vaut pas l’ancienne de chez Mme Verdon. De proportions plus exigues, moins confortablement meublée, elle serait convenable tout de même si Georgine ne redoutait le froid pour cet hiver. L’automne ne commence à peine et déjà l’on grelotte, ici, Georgine n’a pu quitter sa veste de laine, de tout le jour. Lui faudra-t-il encore, elle casanière déclarée, transporter ailleurs ses pénates ?

Son regard erre nonchalamment autour d’elle. Le papier mural, comme disent les annonces, est à fond blanc, moiré d’argent et rayé par des cordons de petites violettes. Une seule fenêtre dont les rideaux de mousseline blanche s’agrémente d’un volant en couleur. La carpette congoleum qui recouvre le plancher est grise de fond et semée de grosses fleurs stylisées, bleues. Maladivement, Georgine se met à les comparer les unes aux autres, puis à les compter. Elle compte aussi les violettes du papier. Mais rien d’aussi énervant que cet exercice. Pourquoi ne s’occuperait-elle pas plutôt à regarder les gravures qui, ici comme chez Mme Yerdon, ani-