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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

voyais guère en quoi un misérable aussi abattu que je l’étais pouvait leur servir, mais ils me prévenaient de leur venir seulement en aide, en pratiquant moi-même une assez large ouverture à la salle voisine de celle où j’étais enfermé ; ils m’assuraient de leur discrétion et de leur constance, et se réservaient la meilleure partie de ce travail dangereux. Cette révélation m’inspira une joie soudaine, je me jetai à genoux en remerciant le ciel et en le priant de seconder leurs efforts. Je me redressai, et pour aspirer les tièdes brises qui devaient me ranimer, je me suspendis aux barreaux de mon soupirail. C’était par une magnifique soirée d’octobre, on eût dit que le printemps régnait encore. Les fontaines chantaient au loin leur amoureuse cantilène, le ciel était bleu, les herbes frissonnaient, les oiseaux se posaient sur les dernières fleurs des buissons. On venait d’abattre dans la cour des prisonniers ce pan de mur qui donnait à ma prison un froid si triste, je voyais enfin traîner sur les dalles un lambeau d’azur céleste. Avec quels efforts je parvins ainsi à me hisser chaque jour jusqu’à cette place où je buvais l’air, la vie ! Jaloux de travailler comme les autres, je poussai si fort l’entreprise, que le trou en question fut bientôt fait. J’y passai d’abord la main, puis le bras, ensuite le corps. J’avais soin de recouvrir chaque jour cette œuvre souterraine de ma nuit, je replaçais la pierre et me tenais devant elle lorsque le gardien entrait. On m’avait débarrassé de mes fers depuis la torture, seulement les sentinelles du dehors étaient doublées.

Il y avait un mois que je poursuivais ma tâche, quand je crus apercevoir, la nuit, un jet de lumière dans la salle contiguë à ma prison. Ce mince rayon passait à travers les interstices de la pierre ; il m’étonna d’autant plus que jusqu’alors je savais cette pièce inhabitée. La lampe qui brûlait dans mon cachot ne pouvait éveiller l’attention de mes voisins ; elle était trop haute et sa clarté se mourait. J’eus l’idée toutefois de l’éteindre pour qu’elle ne me trahît pas ;