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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

qu’un dépérissement sensible alanguit bientôt mes forces. Aucun bruit, aucune nouvelle ne me parvenait du dehors, je n’entendais plus que les pas de mon gardien, le grincement de ses clefs dans la serrure, et le bourdonnement des moustiques autour de la lampe de mon cachot. Je devins peu à peu une sorte d’automate qu’on faisait lever ou se rasseoir, mes pieds et mes mains étaient gonflés par mes fers, mes yeux distinguaient à peine les objets, et l’humidité de ma prison glaçait mes membres.

Trois mois se passèrent ainsi, trois mois pendant lesquels je subis divers interrogatoires. Arrêté pour un crime d’État, promis d’avance à la vengeance du cardinal de Richelieu, qui avait en ce pays de nombreuses intelligences, et ne pouvait me pardonner d’avoir attaqué à main armée les dépêches du marquis de Cœuvres, j’ignorais le nom de mon dénonciateur, celui de mes juges devait être également un secret. Les inquisiteurs n’entraient dans mon cachot que masqués ; sur les siéges du tribunal, ils gardaient encore le masque. Malgré l’abandon ou l’indifférence de mes amis, je m’étais juré de ne jamais les dénoncer ; on ne put obtenir de moi des détails sur mes complices. Dès lors, on résolut de vaincre mon silence par la torture, on m’avait déjà menacé d’un supplice affreux, on tint parole. La douleur ne put toutefois dompter ma constance. Sur le chevalet où l’on m’avait étendu, je pensais encore à l’ange qui m’était ravi, son image illuminait mon cachot. Quand mes vêtements tombaient en lambeaux sur moi, quand le frisson de la fièvre entre-choquait les fers de ma chaîne, je voyais encore flotter devant mes yeux cette céleste vision ! Cependant, mon corps n’était, plus qu’un vrai cadavre ; le désespoir avait suivi la torture, il allait achever son œuvre. Ce fut sur ces entrefaites que mes compagnons de captivité formèrent un plan d’évasion.

Leur projet, pour être peu sûr, ne me parut pas impossible ; ils parvinrent à m’en instruire à l’aide d’un billet qu’ils glissèrent dans mon cachot. Pour mon compte, je ne