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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

chai le trou de mon cachot, et, me jetant la face contre terre, je pleurai amèrement. Un jour avant, j’espérais encore embrasser celle que j’eusse tant aimé à rejoindre, mais depuis que j’avais considéré le cadavre de Matteo, il me semblait que mon tour allait venir. Je m’attendais toujours à voir entrer chez moi le bourreau, je sentais sa main se poser sur mon épaule. En proie au vertige que donne la fièvre, anéanti, foudroyé, j’apercevais comme dans un songe accablant deux êtres fantastiques dont l’air glacé me raillait : l’un était cet odieux ravisseur sur qui j’avais tiré dans l’obscurité de la nuit ; l’autre, ce médecin que j’avais surpris dans ce ténébreux laboratoire… Ce qu’il y avait d’étrange pour moi, c’est que ces deux hommes portaient le masque tous les deux, et qu’ils déjouaient ainsi mes recherches. Ne faisaient-ils donc qu’une seule et même personne ? Vainement avais-je interrogé le gardien de ma prison ; il avait paru ne pas connaître le docteur.

J’étais en cet état de marasme et de désespoir, lorsque tout d’un coup j’entendis tirer un soir les verrous de mon cachot. Le geôlier m’annonça une visite, c’était celle du podestat. Il m’apprit que la décision souveraine de mon sort était remise aux tribunaux de Florence, qu’on allait m’y transférer au plus vite avec d’autres accusés, mais que cependant, si j’avais quelque réclamation à faire, je devais m’adresser au médecin de la prison. Redoutant pour mon état les suites d’un tel voyage, je fis appeler le docteur, qui arrivait de France, disait-on. Ma stupeur fut grande en voyant entrer dans mon cachot un homme masqué… Il me paraissait de la taille du personnage qui avait mis à nu chaque muscle de Matteo ; j’avoue que je tremblai devant ce familier de la mort. Lui, cependant, il m’examinait avec un calme apparent. Il compta d’abord les faibles pulsations de mon pouls, il posa sa main sur mon front brûlant ; cette main me fit horreur. Je m’attendais à le voir au moins touché de ma misère et de ma faiblesse, mais il déclara que cette translation me rendrait des forces. Il fit