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Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/104

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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

plus, il surveilla les préparatifs de mon départ avec une minutieuse attention. Comme tous mes juges me parlaient alors sous le masque, je vous l’ai dit, il ne me parut pas surprenant que celui-ci le portât, seulement le son de sa voix me replongeait dans le doute. Enfin, je le quittai et je revis cette Florence où chaque pierre me gardait un souvenir. Je revis les lieux où j’avais aimé si ardemment une femme dont je n’avais plus alors de nouvelles, je revis la place où jadis était mon palais : on l’avait vendu, le sol n’avait plus que des décombres ! Avant d’être traduit devant mes juges, il me fallait passer par une petite place où s’élevait la maison de celle que j’aimais ; cette maison avait un balcon. Que devins-je, grand Dieu ! en reconnaissant sur ce balcon même le plus cruel et le plus imprévu des spectacles !

Au sein de cette place où je faisais jadis caracoler mon cheval d’Espagne pour attirer ses regards, je vis un assez grand concours de peuple. Le balcon était vide ; mais à ses barreaux pendaient encore des chiffres entrelacés. Le myrte et les rubans entouraient ces écussons ; je reconnus le nom de ma bien-aimée uni au nom du chef des gonfaloniers de la ville, à ce même homme qu’on avait voulu forcer la jeune fille à prendre pour époux. En même temps, et comme la charrette qui me portait avec tous mes compagnons tournait le pont du Saint-Esprit, je distinguai une femme sur le bras de laquelle un pâle vieillard s’appuyait : c’était elle, elle mariée depuis trois semaines ! En me reconnaissant, elle se cacha le visage de ses deux mains et poussa un cri ; son écuyer la soutint, elle s’était évanouie… À sa vue, je cherchai à me dégager de mes liens, à me précipiter vers elle, à la relever ; mais le chariot m’emporta d’un bond rapide, mes menottes n’étaient que trop sûres. Arrivé devant mes juges, je ne pus trouver une seule parole, j’entendis à peine leur sentence : on m’avait condamné à mort ! Quand je me retrouvai dans la prison, un nuage épais étendait son cercle autour de moi… Le geôlier, autant