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Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/110

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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

sous une batterie espérant mourir ; un Italien me vit et me releva. Il me reprocha de servir des protestants, moi qui étais catholique. Dans les extrémités où je me trouvais, pouvais-je, hélas ! choisir ? Je rougis, cependant, de me voir ainsi le valet de maîtres qui n’étaient pas nés pour être les miens, je pensai à mon pays. Lorsque j’y revenais, la fièvre me prit en route. Les deux reines, qui étaient restées à Lyon, profitaient de la maladie du roi pour perdre le cardinal ; déjà même Anne d’Autriche s’était assurée de plusieurs personnes pour l’arrêter en cas que le roi mourût. Alarmé de la part qu’on me proposait dans ces intrigues, je pris le parti de m’enfuir, je gagnai la Suisse et me mis au service des prisons. La paix d’Italie était faite, je rentrai dans ma ville ; mais tout s’y trouvait changé. Un désir ardent, celui de la vengeance, dominait alors mes pensées, je cherchai partout le Joshua qui m’avait si lâchement abusé. Celle qui m’avait jadis aimé avait fui avec son époux ; je demeurai seul, errant comme une ombre autour de sa demeure déserte. C’était pour moi une sorte de plaisir morne et douloureux que cette promenade habituelle ; par instants, il me semblait la revoir, mais toujours à côté d’elle passait le masque noir de Joshua. Malgré mes recherches, je ne pus retrouver cet homme qui m’avait abreuvé de tant de douleurs ; on le croyait mort ainsi que moi. Qu’avait-il fait du seul bien qui me restât ? Dans quel piége terrible avait-il entraîné ma pauvre enfant ? Je ne pouvais croire encore à l’affreuse méchanceté de Joshua, quand la lettre d’un ami laissé en France me força de l’y rejoindre. Cet ami se mourait, et il ne voulait pas mourir sans me parler.

Je courus chez lui ; j’appris de sa bouche le nouveau nom qu’avait pris Joshua, mais il ne put me donner d’autres détails. Joshua s’était, suivant lui, fixé en France, il y vivait d’une vie sourde et mystérieuse, Il était puissant, une protection haute l’appuyait. Je demandai partout la demeure de mon ennemi, mais je ne pus rien savoir. Le