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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

fourni de plus parfait que la signora ; elle arrivait de Rome, précédée d’une réputation immense, elle y avait détrôné bien vite la Bagata et la Petrucci, les deux reines du chant. Sa beauté passée en proverbe l’avait rendue tellement fière, qu’il lui paraissait injuste qu’on pût s’occuper devant elle d’autre chose que de ses cheveux ou de sa peau ; elle n’était pas femme à admettre les distractions. Aussi ne put-elle longtemps tenir à la lecture de l’épître que faisait alors à son ami Rodolfo le jeune comte Pepe de Sirvuela. Du bout de son éventail elle toucha le papier, de façon à déconcerter le lecteur.

— Votre cousin Léo Salviati est ennuyeux, dit-elle au comte Pepe. Ne voilà-t-il pas un gracieux thème que celui de la cour de France ? Il vante ses bals, ses fêtes ; il s’extasie comme un paysan de Fiesole devant ses femmes ! Les Françaises sont fausses et ne conviennent pas de leurs emprunts. À qui doivent-elles leur beauté, si tant est qu’elles soient belles ? à leurs parfumeurs, qui sont tous Italiens. Les deux reines s’y connaissent ! Demandez-leur de quels ménagements coquets elles usent dans leur pays. Tandis que nous autres, seigneur Pepe, nous bravons la chaleur et la poussière, elles passent trois heures par jour chez leur étuviste, qu’elles font noble pour peu que ses opiats soient parfaits. Les femmes de France, fi donc ! Votre cousin Leo Salviati, mon cher Pepe, a toujours aimé la peinture, et voilà pourquoi il les trouve si belles, les femmes de France qui se peignent tant !

En parlant ainsi, la signora caressa son lévrier, un superbe chien qu’elle tenait de l’archiduc.

Le comte Pepe de Sirvuela, piqué au jeu, voulut excuser son cousin.

— Ma chère Giuditta, vous êtes injuste, reprit-il ; je n’en veux pour preuve que ce passage qui vous concerne. Mon cousin Leo n’est-il point parti, il y a un an, de Rome, pour vous fuir ? ne craignait-il pas de succomber sous vos coups trop sûrs ? Eh bien, ce même Leo m’écrit ce qui suit ; j’i-