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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

gnorais ce détail… car je viens seulement de décacheter sa lettre :

« Tu dois te souvenir de la belle Giuditta. C’est pour elle que j’eus au théâtre cette explication si vive avec un neveu du cardinal de Savoie… Une belle, une admirable personne, n’est-ce pas, mon cher Pepe ? Je te la recommande, si elle vient à Florence… »

— Votre cousin Leo a du bon, reprit Giuditta.

— Je bois à sa santé, reprit Rodolfo.

— Continuez donc, demanda la cantatrice.

Mais le comte Pepe se troubla tout à coup, il balbutia, il s’excusa. Le reste de la lettre était, disait-il, trop intime pour être lu. Son cousin Leo l’y entretenait d’affaires graves. Il allait replier l’épître en question, quand Giuditta lui saisit le bras :

— Si vous ne continuez, dit-elle, je ne vous regarderai pas ce soir au concert, prenez-y garde !

— La punition est certes cruelle, reprit Pepe, mais je ne saurais consentir à vous déplaire pour satisfaire un caprice.

— Caprice, soit, dit Giuditta en jouant avec les glands dorés de son mouchoir, mais quand j’entends dire à l’archiduc : Je veux, je vois qu’on lui obéit.

— N’accusez donc que vous, madame l’archiduchesse, répondit Pepe ironiquement. Voici le passage, je n’en omet pas une parole. Vous pouvez lire par-dessus mon épaule.

Giuditta s’approcha, et Pepe lut :

« Donc, Giuditta est adorable, bien qu’elle soit au fond impérieuse et vindicative. On faisait cercle autour d’elle quand elle passait au Corso, à Rome, et le gouverneur ramassa un jour l’un de ses gants. »

— C’est vrai, dit Giuditta, mais poursuivez.

« Eh bien, mon cher Pepe, cette Giuditta si belle n’est rien en comparaison de la merveilleuse beauté que je vis à Paris, il y a neuf mois, au bal de la reine… L’élan de la foudre est moins prompt que la flamme de son regard ; la pureté de ses traits en ferait une déesse. L’éclat de la jeu-