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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

nesse s’éternise en elle, bien qu’elle ait trente ans ; elle devait, tu le penses, exercer sur moi une fascination irrésistible. Chaque femme, à ce bal, était jalouse de sa gloire ; on ne l’y connaissait pas, la reine seule lui parla. En voilà assez pour que les dames françaises ne lui pardonnent de sa vie, car elle est Italienne. En un mot, Pepe, je la crois Florentine. J’ai appris d’un gentilhomme du palais que c’était la duchesse de Fornaro. »

— La duchesse ! répétèrent à la fois Pepe, Rodolfo et la cantatrice.

— La duchesse de Fornaro ! murmura Giuditta ; oui, certes, elle est belle. elle arrive de France… elle est ici… Je ne l’ai vue qu’une fois, mais je veux la voir ; oui, Pepe, je la verrai…

L’aigreur de la jalousie perçait dans le ton dont ces paroles furent prononcées ; Giuditta, sûre jusqu’alors de son empire et de sa beauté, rencontrait une rivale… Cette femme était Italienne comme elle ; comme elle, elle avait troublé le cœur de Leo ; c’en était assez pour souffler la haine et la vengeance dans l’âme de Giuditta.

— Rodolfo, dit-elle en s’adressant à l’ami de Pepe, et en tournant vers lui ses grands yeux bleus languissants, laissons le comte de Sirvuela rêver ici en toute liberté aux perfections sublimes que lui détaille son cousin. Vous m’allez donner le bras et me conduirez à la ménagerie de la villa. Je n’ai point encore visité ce côté du parc, et il y a là pourtant un valet de l’archiduc que je veux voir… J’ai à lui parler, marchons !

— Il est impossible que nous nous quittions de la sorte, ma toute belle, objecta le comte Pepe, n’êtes-vous donc pas attendue vous-même au refresco du marquis de San-Lucar ? Votre bouquet d’hier était misérable ; excusez-moi, celui de ce soir sera magnifique. Ma voiture viendra nous prendre au Pratolino dans un quart d’heure. Qu’avez-vous besoin de ce valet de l’archiduc ? Les miens sont à vos ordres, disposez d’eux. Il y a parmi ces drôles un certain Beppo qui