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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Charles dans quelque action méchante et honteuse. Avez-vous donc oublié cette grande dame qu’aimait votre fils ? pensez-vous que Charles ait pris Bellerose pour confident ? Hélas ! voici plus d’un an, mon père, qu’il a quitté cette ville, plus d’un an que nous n’avons reçu de ses nouvelles… Aussi, depuis son départ, que de pleurs versés, que de fausses joies, quand un inconnu faisait retentir ses éperons sur le seuil de notre porte ! Dieu nous garde d’un malheur, ô mon père ; mais un pareil oubli est bien cruel ; un tel abandon ne s’excuse que par le bonheur !

Mariette essuya ses yeux du coin de son tablier. Le vieillard la regardait avec douleur, car ce n’était pas la première fois qu’elle lui parlait de son fils.

Véritablement Mariette elle-même n’était plus reconnaissable.

Ceux qui l’avaient vue alerte et joyeuse, ceux qui avaient pu admirer autrefois le mol incarnat de ses joues roses, la splendeur de sa peau et la fraîcheur de son teint, n’eussent pas remarqué sans peine la rapide décomposition de sa beauté.

À cette fleur brillante et suave de sa jeunesse, avait succédé chez elle un morne dépérissement ; une amertume secrète se faisait jour dans ses traits, tout son corps avait souffert.

Maître Philippe ne pouvait la contempler sans un vif attendrissement. Depuis le départ de son fils, Mariette ne l’avait pas quitté ; elle l’entretenait de lui pendant de longues heures. Bien souvent elle avait eu l’idée de s’enfuir, de se réfugier dans un couvent ; mais la douleur profonde du vieillard s’opposait à ses projets. Mariette n’était-elle donc pas sa fille ? ne l’avait-il pas recueillie toute petite ? Les larmes du vieux Philippe, Mariette les séchait sous ses caresses et sous ses baisers.

– Je n’ai plus qu’une fille, avait dit souvent maître Philippe à ses voisins ; et les voisins, émus, trompés par la tendresse ingénieuse de Mariette, l’avaient cru, eux aussi.