Aller au contenu

Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
168
LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

La fille de ce père désolé, ils la vénéraient et ils l’aimaient, tant Mariette, en se dissimulant à elle-même son servage volontaire, redoublait de soins et d’amour envers le père de Charles.

Dix heures du matin venaient de sonner alors à l’église de Saint-Gervais, et une bande d’ouvriers, accoutumés sans doute à prendre leurs repas chez Philippe Gruyn, envahissait déjà les tables de la salle basse.

Maître Philippe déposa sur le front de la jeune fille un baiser plein de tendresse ; puis, selon son habitude, il lui demanda de lui lire un chapitre de la Bible, afin, disait-il, que Dieu bénît sa journée.

Mariette passa dans la pièce contiguë à la grande salle ; elle y vit un homme la tête appuyée entre ses mains.

— Notre seul ami, murmura-t-elle, j’étais sûre de le trouver !

Le personnage en question salua Mariette avec tristesse.

— Vous prendrez votre part de notre lecture, dit-elle d’un ton ému ; mon père veut que je lui lise un fragment de cette vieille Bible tous les matins.

Puis, sans attendre sa réponse, Mariette tira la Bible d’un vieux bahut sculpté, seul décor de cette pièce, et elle ouvrit le livre à la parabole suivante, celle de l’Enfant prodigue :

« Enfin, étant revenu à soi, il dit en lui-même : Il faut que je me lève et que j’aille trouver mon père, et que je lui dise : Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre vous.

» Je ne suis plus digne d’être appelé votre fils ; traitez-moi comme l’un des serviteurs qui sont à vos gages.

» Il se leva donc et s’en fut trouver son père[1]. »

En écoutant cette simple et touchante parabole, les yeux du vieillard s’étaient obscurcis de longues larmes, et l’étranger semblait partager son attendrissement. Nul, en

  1. Évangile selon saint Luc, chap. xv