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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

d’édifices, et qui régnait depuis la pointe de l’île jusqu’au pont Marie.

Acheté d’abord par M. de Ribaudon, trésorier de France, l’emplacement de l’hôtel, appelé dans le dernier siècle l’hôtel de Pimodan, formait un vis-à-vis parfait à la rue Saint-Paul, dans laquelle le lieutenant criminel, père de Marie de Brinvilliers, demeura[1]. Les dégagements en étaient vastes, bien qu’il n’eût pas de jardin ; sa vue s’étendait entre l’Arsenal et les Célestins ; il n’avait pas encore derrière lui l’église Saint-Louis et son clocher en obélisque percé à jour, car l’église ne fut commencée qu’en 1664.

C’était sur ce quai, dressé au cordeau, que devaient s’élever plus tard la magnifique maison du président Lambert de Thorigny[2] et celle du président de Bretonvilliers.

Dévolue aux magistrats, aux partisans et aux gens d’affaires, cette ligne de l’ancien Paris conserve encore à ce jour une physionomie sévère et calme ; ces palais, ces hôtels ont quelque chose de ceux de Gênes ou de Venise ; les bruits de la ville et les flots de la Seine y viennent mourir.

Du balcon ouvragé comme une dentelle ou une guipure, le regard embrasse à gauche des campaniles sveltes comme la tour Saint-Jacques, des cheminées comme celles de l’Hôtel de ville, ou des pavillons en pierre de taille comme ceux du Louvre. Quand les blancheurs de l’aube envahissent ce panorama limpide, quand le couchant l’empourpre ou que le crêpe de la nuit, troué de mille lumières, s’étend sur lui, le regard du peintre s’y attache amoureusement : sous les molles vapeurs d’une lune d’été, il égale les plus admirables pastels. Ces arches légères superposées sur la Seine, ces quais semés de points lumineux, ces eaux noirâtres et profondes qui se brisent aux piliers du pont Marie, ces nuages aux flocons roux, cet échiquier de tours et de

  1. M. d’Aubray.
  2. L’hôtel Lambert.