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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

connu à son passage. Ce fut à qui, parmi les ouvriers de maitre Christophe Marie, lui lancerait un lardon.

— Où allez-vous donc, monsieur le masque ? prenez garde de salir vos broderies !

— Ce courageux pèlerin va prendre sans doute un bain d’hiver.

— Vous n’y êtes pas : il vient acheter un terrain pour s’y construire un palais !

— C’est un riche bourgeois qui veut fonder ici un jeu de paume !

— Il rebondira sur la raquette comme un volant ! Il est si maigre !

— Examine ses jambes, ne dirait-on pas de deux arches du pont Marie !

— Et ce bouchon de paille ! Ah çà ! il est donc à vendre !

L’inconnu se drapa silencieusement dans son manteau, et rejetant son corps en arrière avec fierté, il se mit à toiser dédaigneusement ces épais railleurs. C’était un homme d’une quarantaine d’années, aussi brun qu’un Cafre au premier coup d’œil, mais dont la physionomie rusée, le regard étincelant et la désinvolture élégante trahissaient bien vite le pays : il était Italien. Une chevelure noire, abondante, s’échappait en boucles entremêlées sous son feutre ; il avait le rire aigu, éclatant ; il n’eut pas de peine à remettre à leur place les mauvais plaisants qui l’obsédaient.

— Arrière leur cria-t-il ; je croyais avoir affaire ici à des hommes et non à des pierres ! Le terrain que je foule m’appartient autant qu’à vous !

Il se fit un silence forcé dans la foule ; elle s’écarta pour mieux lui faire passage.

— La maison de maître Gérard ? demanda-t-il.

Ces hommes se regardèrent ; maître Gérard était le passeux de l’île aux Vaches, mais ils n’avaient guère souvenance qu’à cette heure avancée et dans pareille saison, un gentilhomme pût avoir fantaisie de lui faire détacher sa