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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

pas même de l’heure avancée ; tantôt elle s’arrêtait et présentait aux brises de la Seine son front brûlant, puis elle reprenait sa course rapide comme sa pensée. Encombré d’obstacles, le chemin n’était guère facile, car on bâtissait alors une partie de ce quai appelé le quai des Ormes. Quelques journaliers, la veste sur le bras, rentraient chez eux en chantant. Le vent avait fraîchi, et il agitait les têtes touffues des arbres, les baissant et les relevant tour à tour comme un djin capricieux ; mais les murmures de la ville s’éteignaient peu à peu, l’obscurité étendait partout son voile. Mariette, avec son chapeau de muguet rabattu sur son visage, se trouva bientôt dans l’une de ces ruelles si communes à la grande ville, et principalement au Palais-Cardinal, qui alors en comptait beaucoup ; elle avait pour nom la ruelle du Chapeau-Rouge.

C’était, à vrai dire, une rue de méchant renom. Mariette leva la tête, et à travers les vitres verdâtres d’une chambre située au quatrième étage d’une maison de gothique aspect, elle aperçut un jet de lumière.

— Il est chez lui, se dit-elle, et sa main tinta la clochette du logeur chez lequel Pompeo avait pris gîte.

L’italien n’avait élu domicile en ce quartier que pour être à même d’espionner, à son tour, l’homme du palais-Cardinal, qu’il avait tant d’intérêt à retrouver, l’homme qui lui avait promis Samuel.

— Au bruit de la clochette, Pompeo ouvrit sa lucarne. Mariette l’appela ; il ne la reconnut qu’à sa voix.

— Que veut dire ceci ? pensa-t-il ; Mariette, c’est Mariette.

Il descendit, sa lanterne en main, et la posa d’abord sur l’une des marches de l’escalier pour examiner la jeune fille. Elle était si belle, malgré sa pâleur, que Pompeo ne put réprimer un cri de plaisir et de surprise. L’Italien lui-même s’arrachait sans doute à d’accablantes pensées, car il essuya du revers de sa manche ses yeux humides de larmes.

— Vous ici ? dit-il en souriant, vous sous ces habits. Ma-