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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

connais à son insolence, se dit-il en courant sur ses talons. Mais le masque, aussi leste qu’un arlequin de Bergame, était déjà perdu dans la foule, se réservant sans doute un instant plus propice pour son entretien avec la comtesse.

— Par le sang, par la mort, par les rats de Montfaucon ! grommelait le capitaine, je t’éventrerai, méchant railleur, oui, je te ferai rendre gorge ! Au diable les instructions de Bellerose, au diable ma promesse, au diable ma fortune ! C’est toi qu’il me faut, et je t’aurai.

Et le malheureux capitaine, après s’être élancé à la poursuite du masque dans lequel il avait reconnu son adversaire de la rue des Bons-Enfants, accrochait çà et là les dentelles des cavaliers et des belles dames sur son passage. Jamais chasseur acharné à la poursuite d’un lièvre ou d’un chamois, recors à la piste d’un débiteur, mari jaloux poursuivant un céladon nocturne, n’avait marché d’un tel pas.

Par un mouvement subit, la comtesse de San-Pietro s’était levée en voyant l’inconnu s’approcher d’elle.

— Teresina, dit le masque à voix basse et en l’attirant vers lui par le seul magnétisme de son regard.

— Qui m’appelle ? demanda la comtesse en se laissant retomber avec effroi sur le sofa.

— Il fut un temps, continua le masque avec un soupir, où vous eussiez reconnu cette voix qui vous parlait d’amour sous un autre ciel, lorsque vous portiez le nom que je viens de prononcer. Mais tout est changé, madame ; ce n’est plus Teresina, c’est la comtesse de San-Pietro qui m’écoute. Peut-elle avoir gardé le souvenir d’un malheureux qui l’aimait, et qui l’aime encore, après seize années d’angoisses ?

— Pompeo ! murmura la comtesse, Pompeo ! ce serait vous ?

— Et quel autre que moi, reprit le masque avec feu, pourrait, dans cette fête, s’adresser à votre cœur pour en faire vibrer les cordes les plus secrètes ? Ah ! ne m’enviez pas ce triste pouvoir, je l’ai acheté par assez de larmes ! Oui, c’est moi qui, le premier, ai rêvé près de vous un