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Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/270

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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

XXXI

L’ARMOIRE.


Revenu de sa première stupeur, Charles avait quitté le balcon avant que Samuel ne pût le voir se confondre aux flots de la multitude ; il avait couru à l’extrémité du pont Marie.

Rien ne pourrait donner idée de cette course frénétique… Charles avait reconnu le corps de maître Philippe ; il avait la fièvre, le délire ; il tomba sans force devant le poteau au pied duquel Mariette pleurait.

Le peuple entourait le cadavre du cabaretier dans un silence muet et stupide. L’idée d’une exécution secrète fut alors la seule qui se présenta aux esprits. Personne ne put croire que le digne vieillard eût attenté à ses jours, lui que l’on citait dans tout le quartier de l’île comme un exemple d’ordre et d’économie. Maître Philippe était connu pour avoir la fourniture de plusieurs grandes maisons, et le cabaret de la Pomme de pin n’était pas, nous l’avons dit, un cabaret ordinaire.

Aussi, dès la première nouvelle de l’événement, chaque honnête bourgeois avait-il cru devoir quitter sa boutique, et se rendre sur les lieux mêmes.

Le poteau en question, destiné à l’éclairage prochain du pont auquel nos magistrats ont enfin donné aujourd’hui le gaz, ne consistait alors que dans un méchant pieu fiché en terre, attendant quelque fallot de papier peint, car l’édilité parisienne d’alors ne se piquait guère de luxe dans son système de lanterne, et l’origine des réverbères est postérieure au temps où se passe ce récit.

Un bout de corde neuve y pendait encore la veille ; maintenant il soutenait un cadavre…

La figure du cabaretier était terrible ; elle avait acquis ce caractère menaçant que la strangulation ne manque jamais