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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

XXXII

LE DUEL.


Une heure après l’enterrement du cabaretier, deux personnes, une femme et un homme, causaient encore dans ce même boudoir où Samuel s’était introduit pendant le bal… L’homme était debout, arrêtant avec complaisance son regard encore troublé sur la belle créature, à demi couchée sur un sofa, qui semblait alors poser devant lui comme devant un peintre. Il admirait tour à tour l’éclatante profusion de sa chevelure, ses longs cils noirs inclinés, ses épaules de reine et ses bras nus. De temps à autre un soupir profond s’échappait de sa poitrine.

La figure de la femme était si pâle qu’on l’eût crue de cire, à ses yeux palpitaient de longues larmes, elle semblait brisée de douleur et de fatigue… Sa main gauche froissait une lettre, sa droite caressait un petit chien-lion qui ne la quittait que pour flairer le dessous de la porte avec effroi…

Pompeo et la duchesse s’étaient parlé bien longtemps, et cependant l’heure avait fui pour eux d’une aile rapide, le timbre du massif hôtel de ville de Dominico Bocardo sonnait onze coups secs et sonores… L’Italien tressaillit.

— Dans une heure, pensa-t-il, j’en aurai fini avec ce misérable. Ce sera le jugement de Dieu, et ce jugement, je l’ai attendu trop longtemps pour qu’il ne me donne pas gain de cause.

Puis, s’approchant de la duchesse dans un mélancolique recueillement et en laissant tomber sur Teresina l’étincelle électrique de son regard :

— Nous nous sommes rappelés tous deux, lui dit-il, les bons et les mauvais jours ; convenez, madame que nos joies furent bien courtes ! Seize ans nous séparent de ces moments fortunés où, votre main dans la mienne, nous cachant aux yeux de tous, nous vivions de notre cœur ; pourvu que