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LES MYSTÈRES DE L’ÎLE SAINT-LOUIS

transformation de Charles ; il allait l’exiger de sa prudence.

— Maintenant, lui dit-il, rassemblez toutes vos forces. Il s’agit ici d’avoir du courage ; montrez à ces hommes celui que le repentir vous a donné. Ils s’attendent à voir sortir de ce lieu un pâle gentilhomme, ils veulent se venger sur le comte de San-Pietro, qu’ils trouvent un enfant du peuple !

Puis, s’adressant aux archers de sa troupe :

— Que le tambour sonne, dit-il, et vous, chapeaux bas !

Charles descendit, après avoir donné à la jeune fille un baiser d’adieu ; baiser plein de larmes, car cette nouvelle séparation pouvait être éternelle.

En passant sous le porche, il entendit des cris furieux, qui ne tardèrent pas à s’apaiser, ainsi que le lieutenant criminel l’avait prévu.

À l’aspect du jeune homme suivant, dans ses habits d’apprenti, le corps de maître Philippe, des larmes de respect et d’attendrissement gagnèrent la foule ; sa douleur muette changea la disposition des esprits. Tous les hôtes fameux du cabaret de la Pomme de pin, Faret, Chassaingrimont, Saint-Amand et plusieurs autres, ne purent s’empêcher eux-mêmes d’être touchés ; tant l’abnégation écrite sur le front de Charles témoignait encore plus que ce changement d’habit, du sacrifice généreux qu’il s’imposait. Confondu dans cette multitude recueillie, un seul homme alors observait Charles avec des pensées bien différentes ; cet homme, c’était Samuel.

Un désappointement amer s’emparait de lui, en voyant le fils de maître Philippe échapper ainsi à la vengeance du peuple.

— Il me reste la mienne ! dit-il en s’acheminant vers le quai où s’élevait le splendide hôtel.