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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

une vile roturière ; pour moi, je la méprise et ne reconnais que la Taverne. La taverne ! c’est là mon champ clos, j’y défie les mauvais garçons et les capitaines ! La taverne, monsieur, c’est mon âme, c’est ma vie ! À moi, Faret, Grandchamp, Bilot, Pontmenard, Saint-Brice, Chassaingrimont[1] et vingt autres ! venez tous ici pour dire à ce gentilhomme quel goût fade possède l’objet de ses vœux ! La Seine ! mais ce lit est bon pour un Gascon ou un recors ! Eh quoi ! monsieur, dont la moustache est frisée en croc, dont l’air est martial et n’a rien d’un comte allemand, voudrait converser avec des nymphes grelottantes qui ne jouent pas même au lansquenet ! Mais songez donc, monsieur, que c’est là un gîte abominable ! Sans compter ce qu’on y jette, réfléchissez un peu qu’on n’y rencontre que des dieux armés de fourches qu’ils nomment tridents, et qui ne leur servent pas même à ouvrir les huîtres vertes. Ma parole d’honneur, j’ai connu une Amadryade qui s’ennuyait tant en ce pays, qu’elle en est morte. Allez, cher désolé, on voit bien que vous ne connaissez en rien le Cours ni les Tuileries. Je vous recommanderai au comédien Bellerose. En voilà un brave ! il m’a promis à souper l’un de ces soirs. Par les yeux de Marmousette, la docte chatte de maître Philippe Gruyn, je veux vous présenter à nos amis. Précisément, ils seront tous ce soir à notre cabaret du pont Marie.

Arrière, Dol, Peur, Mort, Soif, Faim,
Honte, Rancœur, Dam, Deuil, Chagrin,
Paresse, Désespoir, Envie,
La kyrielle en est finie.
Mon cher, à la Pomme de Pin !

Cette tirade achevée, le gros et joyeux Saint-Amand s’éventa, avec la plume de son feutre. Un auditeur de plus lui plaisait assez, et l’idée de rencontrer peut-être un protec-

  1. Tous ces héros ont été célébrés par Saint-Amand dans ses vers.