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Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome1.djvu/36

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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

teur inconnu dans l’étranger le comblait de joie. L’orgie et le cabaret étaient les seules classes de ce poète éraillé, plus connu par un quatrain au Palais de Justice que par ses œuvres. L’Italien le considéra d’un air dédaigneux.

— Vous ne répondez pas, mon cher compagnon ? Je vois bien que le vin ne vous tente pas. C’est dommage, celui de maître Philippe est excellent. Un gaillard qui a la promesse de fournir la cave de M. de la Meilleraye ! Je vois bien qu’il faut que je vous parle de la jolie Mariette… Apprenez donc que pour cet objet glorieux… ce brasier, ce soleil, on met chaque soir le glaive au poing. Moi-même, je vous le confie, j’en suis féru ; le dard m’est entré là… ajouta Saint Amand en touchant son cœur, et il n’est pas de jour où je ne lui fasse des vers à miracle… Le cabaretier m’adore et je la vois à toute heure… Écoutez plutôt :

J’ai vu ses beaux cheveux blonds, charmes des regards,
Sous l’ivoire du peigne alentour d’elle épars,
Représenter au vrai le Pactole en sa source !

Mais ce qu’il y a de cruel, monsieur, c’est que c’est à la fois un miroir de beauté et de vertu. Je l’aime, oui, je l’aime, malgré le gris de mes cheveux ; elle a le sceptre de mon cœur, mais elle s’en moque. En un mot, vous la verrez, et vous direz ensuite comme moi que c’est là une fille inexplicable. Je connais Céphise, Amaranthe, Sylvie et Macette ; elles ne sont pas dignes de lui embrasser les pieds, et cependant c’est une simple cabaretière ! Le cavalier Marin brûlerait pour elle ses sonnets, son maître ses futailles, Paris son pont Neuf, et vous, par ma foi ! vous vous noieriez.

L’Italien se prit à sourire. La bonne humeur de Saint-Amand l’avait gagné ; c’était aussi la première fois qu’il entendait parler du cabaret de la Pomme de pin. La résolution extrême qu’il avait prise cédait peu à peu, non qu’il y renonçât, mais il voulait peut-être jouer cette fois son der-