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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

comprendre l’embarras de l’étranger. Avertie bientôt par son silence et sa pantomime piteuse, la jolie fille laissa tomber son regard sur lui, et dans ce regard brilla le feu d’une indicible pitié. Cet homme était malheureux ; il venait d’un autre pays ; il paraissait fier, courageux, de bonne mine ; qui sait ? il pouvait devenir un jour le protecteur et l’ami de Mariette. Ces réflexions furent chez elle l’affaire d’un instant. Mariette avait cru voir une larme furtive rouler dans la paupière de l’étranger ; c’était peut-être une larme de rage ou de honte… Elle se baissa rapidement au milieu des chuchotements de l’assemblée, et ramassant tout d’un coup une bourse sur le parquet :

— Une autre fois, monsieur, ne me forcez pas à ramasser votre argent à terre, dit-elle avec un petit air de mutinerie. Voyons, comptez-moi ce que vous me devez ; c’est une pistole ; j’attends !

L’étranger avait seul compris le regard d’intelligence que lui jeta Mariette. Ce regard pénétra son âme de gratitude, mais il se contint ; il ouvrit la bourse que Mariette avait laissé tomber, et en tira une pistole.

Saint-Amand et le capitaine la Ripaille n’observèrent pas sans étonnement la rondeur de cette bourse.

— Par ma foi ! voilà un fils de Naples ou de Mantoue qui ne ressemble guère à ses chers compatriotes murmura Bellerose à l’oreille du capitaine.

Aucun des spectateurs, et maître Philippe lui-même, n’eût pu soupçonner le manège de Mariette ; la jeune fille était pauvre, qui donc eût pensé qu’elle avait de l’or ?

L’Italien regarda Mariette avec un mélange de défiance et d’attendrissement. La bourse était belle, et il y avait dessus des armes gravées. L’Italien y prit garde, et il la serra dans son pourpoint.

Le broc d’honneur fit le tour des tables ; chacun, et surtout Saint-Amand et la Ripaille, se récria sur la générosité du nouveau venu.

Maître Philippe lui fit donner par un de ses garçons un